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05 juillet 2022

Confinement à Shanghai : deux mois chaotiques racontés par un Centralien de Lyon

Deux mois, c’est le temps qu’a duré le confinement strict mis en place par les autorités chinoises à Shanghai suite à l’explosion des cas de Covid-19. Une épreuve difficile qu’Alexandre Phi (ECL 2008), ingénieur chez Safran Aircraft Engines, a accepté de nous raconter de l’intérieur.


Bonjour Alexandre. Shanghai sort à peine de la plus longue période de confinement de son histoire. Comme avez-vous vécu cet épisode ?

Jusqu’à la fin mai et les premières mesures de déconfinement, nous avons vécu un véritable calvaire. Et encore, nous n’étions pas les plus à plaindre. Tout a commencé fin février/début mars lorsque les autorités ont relevé de plus en plus de cas positifs au Covid-19 un peu partout à Shanghai. Le confinement fut alors mis en place mais uniquement dans les résidences et bureaux où des cas avaient été relevés.  Le 9 mars, un cas fut déclaré dans une tour à côté de nos bureaux. Du jour au lendemain, tout le monde dut rentrer chez soi sans savoir que débutait alors une très longue période de télétravail forcé.

Très rapidement, l’ensemble des services de la ville furent paralysés. Le 11 mars, la crèche qui accueillait notre enfant fut fermée, suivi de l’annonce fin mars par le gouvernement d’une quarantaine généralisée de 5 jours du 28 mars au 1er avril pour la partie est de la ville et du 1er au 5 avril pour la partie ouest.

Faisant naïvement confiance à l'annonce des autorités, nous avions pris la décision de laisser la nounou repartir chez elle durant cette "petite" période de confinement. Nous nous sommes alors retrouvés mon épouse et moi à nous occuper de nos 2 enfants en bas âge tout en menant nos activités professionnelles en télétravail.

La suite de l'histoire, vous la connaissez, le confinement s’est poursuivi jusque fin mai, avec plusieurs variations en fonction de la situation vécue dans chaque résidence.

Dans la nôtre, le confinement strict a duré du 1er au 27 avril. Nous devions rester dans l'appartement et n’étions autorisés à sortir que pour faire des tests PCR. Les livraisons de nourriture étaient très compliquées au début. Il fallut attendre plusieurs jours avant de recevoir un colis de ravitaillement du gouvernement. Par la suite, heureusement, nous avons pu passer des ordres d'achat groupés entre voisins pour nous approvisionner car les colis du gouvernement ne suffisaient clairement pas à nourrir toute ma famille. 

Le 27, petite victoire, nous obtenions l'autorisation de sortir de chez nous pour nous promener dans la résidence avec port du masque obligatoire et tests PCR et/ou antigéniques quotidiens.

Le 30 avril, grosse lueur d'espoir lorsqu'on nous a annoncé qu'on pouvait enfin sortir de la résidence. Le 1er mai, nous nous sommes donc promenés dans le quartier, mais ce n'était qu'une courte parenthèse car dans l'après-midi, nous étions de nouveau confinés à la résidence.

Puis, le 9 mai, gros retour en arrière sans aucune raison, nous étions en confinement strict dans notre appartement avec interdiction de se faire livrer.

La situation s'est peu à peu améliorée avec un ravitaillement quotidien du gouvernement.

A partir du 16 mai, nous avons pu sortir de notre appartement pour nous promener dans la résidence, puis le 23 mai, dans le quartier avec pour conditions : 1 adulte + 1 enfant par foyer pour une durée maximum de 3h et à raison d’une fois tous les 3 jours.

Le 24 mai, nous avons enfin récupéré une nounou suppléante qui nous a sauvés. Nous sommes vraiment passés de la nuit au jour.

Le 1er juin, l’annonce officielle du gouvernement est finalement tombée : le confinement était enfin levé, pour les résidences et locaux sans cas positif évidemment. Donc depuis le 1er juin, nous sommes « libres » d’aller où nous voulons dans la ville. Les lieux publics (métro, bus, centres commerciaux, bureaux, etc. ) sont accessibles sous réserve d’un test pcr négatif de moins de 72h. A ce jour, les commerces peuvent livrer à domicile. Les restaurants bénéficiant d’une terrasse peuvent servir.

Cependant, beaucoup de restaurants et bars sans terrasse n’ont pas encore pu rouvrir. Du coup beaucoup de personnes se donnent rendez-vous dans des parcs pour pique-niquer et profiter de la liberté retrouvée.

Avec le recul qui est le votre aujourd’hui, quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées lors de ce long confinement  ?

Elles furent nombreuses.

1) Le télétravail fut très compliqué à organiser avec 2 enfants constamment en demande d'attention. Mon épouse et moi rattrapions le retard sur le travail durant les siestes des petits et les soirées. Le manque de sommeil qui s'accumulait eut évidemment un impact sur notre patience en tant que parents.

2) Le confinement fut d’autant plus difficile à supporter psychologiquement que nous n’avions aucune visibilité sur les objectifs ni les dates de fin ou même d'assouplissement. 

3) Les règles mises en place ne suivaient aucune logique et changeaient en permanence. 

       a/ La pyramide de Maslow n'était clairement pas respectée. La stratégie 0 Covid primait sur l'approvisionnement de vivres et les soins pour les urgences. La police et le personnel en charge appliquaient bêtement ce qu'on leur demandait sans considérer l'urgence de certaines situations. On avait parfois l'impression d'être en face de robots.

       b/ Certaines tours d'immeubles étaient barricadées sans se soucier des problèmes éventuels en cas d'incendie par exemple.

       c/ Beaucoup de personnes ici se disent que les choses auraient été gérées différemment s’il  n’y avait pas eu d’élections présidentielles à la fin de l'année.

       d/ Aucune campagne de vaccination ne fut mise en place pendant ce confinement...

4) Les tests Covid quotidiens à réaliser 2 à 3 fois par jour.

5) La difficulté de quitter le territoire car il est compliqué d'obtenir les papiers pour les enfants. Et même avec ces papiers, la logistique vers l'aéroport reste compliquée. 

Pour résumer, ce confinement a révélé une face de la Chine que je ne connaissais pas. Bien entendu, nous sommes conscients que nous vivons dans un pays dont le gouvernement est différent du nôtre. Les lois peuvent être strictes et appliquées de façon rigide. Mais la situation que nous avons vécue dépasse de loin toute logique et tout entendement. Je ne retrouve plus la Chine que j'ai tant aimée il y a 10-15 ans.

En France, de telles restrictions et conditions de confinement seraient difficiles à appliquer. Comment a réagi la population à Shanghai ?

Dans ma résidence, il y a eu quelques plaintes, mais dans l'ensemble les gens se sont bien comportés. Nous savons que dans d'autres résidences, certains hurlaient depuis chez eux, faisaient du bruit avec leurs casseroles pour dénoncer le manque de nourriture. Des vidéos ont également tourné sur internet avec des gens sortant dans les rues pour défier les autorités.  

Dans la nuit du 22 au 23 avril, une rébellion virtuelle a même été organisée sur la plateforme wechat dans laquelle tout le monde s'est mis à poster une vidéo compilant tous les scandales qui ont eu lieu dans la ville depuis le début du confinement. La vidéo était supprimée aussitôt postée, mais d'autres moyens étaient utilisés pour continuer à la mettre en ligne, en utilisant un lien à cliquer, en tournant la vidéo à 180°, ou encore avec tout autre moyen pour trafiquer la vidéo afin d'échapper à la machine à censure.

Comment votre entreprise Safran s'est-elle adaptée à la situation ?

Le télétravail a été généralisé pour ceux dont le métier le permettait. Pour les usines, elles ont été arrêtées temporairement, puis lorsque la situation s'est un peu relâchée, dès que cela a été possible, certains collègues sont retournés dans les usines pour reprendre le travail. Ils devaient cependant dormir sur place.

La vie semble avoir repris peu à peu son rythme normal. Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

Ma vision c'est que même si on arrive à un 0 covid, dès que le pays rouvrira ses portes, Omicron ou d'autres variants pourraient revenir et nous serons alors obligés de nous confiner à nouveau. Nous avons retrouvé une liberté toute relative avec une menace qui plane si un cas positif est détecté dans notre entourage. Safran nous offre la possibilité de nous faire rapatrier en cas de demande. Je n'ai pas encore appuyé sur le bouton, mais si cela devait reprendre, on n'aura d'autre choix.

Auteur

Alexandre Phi travaille chez Safran Aircraft Engines à Shanghai en qualité de représentant engineering pour l'ensemble propulsif CFM LEAP-1C qui équipe les avions C919 de COMAC. Avec son équipe, il accompagne l’avionneur sur ses campagnes d'essais sol/vol.

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