

Défis et enjeux de la Supply Chain chez Mondelēz International par Jean-Louis Davy (94) - Directeur senior du service client et de la logistique pour la France
De ses débuts dans l’industrie chimique à la direction des opérations logistiques européennes de Mondelēz International, Jean-Louis Davy (94) a construit un parcours riche en responsabilités, en apprentissages et en défis. Entre fusions-acquisitions, réorganisations, réduction de l’empreinte carbone, et gestion de crises internationales, il a vécu de l’intérieur les grandes mutations de la supply chain moderne. Aujourd’hui basé à Paris, il dirige les équipes Customer Service & Logistics pour le marché français et revient, dans cet entretien, sur les moments clés de sa carrière, les enjeux qu’il pilote au quotidien et les conseils qu’il donnerait à de jeunes ingénieurs en quête de sens et d’impact.
- Technica : Pouvez-vous nous présenter les grandes étapes de votre parcours professionnel jusqu’à aujourd’hui ?
En sortant de Centrale Lyon, j’ai commencé dans l’industrie chimique au sein du groupe Air Liquide en tant que responsable technique dans une petite entité régionale en couvrant la production, la logistique et l’ingénierie. Ceci m’a donné une première expérience Supply Chain, qui a depuis constitué le fil conducteur de ma carrière.
Ensuite, j’ai fait du conseil en Supply Chain dans 2 cabinets, ce qui m’a permis de découvrir la gestion de projets, de travailler dans de nombreux domaines professionnels à l’international.
Puis j’ai voulu quitter le conseil pour participer à la mise en œuvre et voir les résultats des projets conduits. En 2006, j’ai donc débuté ma carrière Mondelez en rejoignant Cadbury Schweppes au département achats. J’étais attiré par le domaine des produits de grande consommation, proche de la vie quotidienne avec un contexte international. J’achetais des prestations logistiques sur la zone Europe, Middle East et Africa. J’ai ensuite été en charge des achats mondiaux de transport maritime pour le Groupe, catégorie d’achat dynamique.
En 2010, Cadbury a été racheté par Kraft Foods, (qui depuis s’est scindé en 2, une entité étant Mondelez). J’ai alors participé au projet d’intégration des réseaux logistiques entre Cadbury, Kraft Foods et LU. Faire partie d’une entreprise rachetée fut une expérience humaine formatrice, mêlant incertitudes, opportunités et découvertes.
Puis, j’ai eu envie de revenir vers les opérations, avec une expérience à l’étranger en devenant responsable du développement des opérations logistiques pour l’Europe à Zurich en Suisse. Initialement avec ma famille, nous étions partis pour 3 ans. Nous y sommes restés 11 ans. Mon rôle couvrait la stratégie du réseau logistique européen, les plans de productivité et tous les projets logistiques y compris fusions et acquisitions. Mon expérience d’un rachat a été très importante pour comprendre les impacts personnels dans de telles circonstances. J’ai ensuite pris la responsabilité du planning de production pour la catégorie Biscuits pour l’Europe, couvrant 40 usines européennes dont 25 en propre avec mon équipe en Pologne, dans le cadre d’un projet de centralisation de la planification. Mon dernier rôle en Suisse a été la direction des opérations logistiques pour l’Europe, gérant les flux des usines jusqu’aux clients.
Après ce séjour en Suisse, j’ai voulu revenir plus proche du terrain. Je gère maintenant le département service clients et logistique pour la France, basé à Paris.
- Technica : Qu'avez-vous appris de cette expérience à la tête des opérations logistiques européennes ?
Ce rôle m’a amené à gérer un environnement très vaste couvrant 27 pays avec une équipe de 650 personnes. Manager au travers de mon équipe de direction dans un climat de confiance a été très formateur. Les enjeux sont nombreux, une des dimensions clés est de préparer la stratégie moyen/ long terme tout en restant à l’écoute de l’actualité court-terme en cas de besoin. Piloter une telle organisation permet aussi de pousser à l’expérimentation à petite échelle sur de multiples sujets en parallèle, comme les nouvelles technologies et d’en tirer les enseignements à plus grande échelle.
D'un point de vue humain, le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui dépendait alors de mon équipe Russe a été intense, m’amenant à reprendre le management en direct en priorisant la sécurisation des personnes et des biens.
- Technica : Vous dirigez aujourd’hui les équipes Customer Service & Logistics pour la France, le deuxième marché européen de Mondelez. Quels sont les grands enjeux que vous devez piloter ?
Dans mon rôle actuel, avec mon équipe nous avons pour objectif de maintenir l’équilibre entre 3 dimensions clés de la Supply Chain :
- Le service client : améliorer la disponibilité des produits en fiabilisant la prévision de la demande mais aussi rechercher la satisfaction clients avec des projets de développement.
- Les coûts et l’empreinte carbone : optimiser l’efficience logistique et industrielle pour servir nos clients et minimiser l’obsolescence des stocks.
- Le cash : piloter les niveaux de stocks, manager les flux financiers avec nos clients, gérer le cycle de vie de nos produits (lancement, modifications et fin de commercialisation).
Dans une supply chain étendue, l’équipe CS&L est l’interface entre la supply chain y compris achats et usines avec les équipes commerciales avec pour objectif de contribuer à la performance de l’entreprise.
- Technica : Comment agissez-vous par exemple pour réduire les coûts et l'empreinte carbone des activités du groupe ?
Cela passe d’abord par la quantification des pertes sur l’ensemble de la chaîne de valeur, dans une démarche lean. Ces pertes sont ensuite réduites à différents niveaux, par exemple en améliorant le taux de remplissage des véhicules ou en limitant les interventions sur les flux afin de les massifier. Le plan prévoit également un transfert progressif vers des modes de transport ou des carburants présentant un meilleur bilan carbone.
La réduction des kilométrages constitue un autre levier, notamment grâce au développement des livraisons au départ des usines et à des collaborations renforcées avec nos clients et partenaires logistiques. Enfin, l’optimisation du design de nos produits permet d’en améliorer la performance tout en intégrant les exigences marketing.
- Technica : Les turbulences actuelles qui secouent le commerce international ont-elles une influence sur votre activité ? Comment vous organisez-vous ?
Le monde des produits de grande consommation est dynamique avec des relations commerciales avec la grande distribution parfois sensibles. Les turbulences économiques renforcent la volatilité dans cet environnement. A titre d’exemple, nous sommes un acteur majeur sur le marché du chocolat (Milka, Cote D’Or, Toblerone en France). Les prix du Cacao ont été multipliés par 4 depuis deux ans, bouleversant les équilibres économiques et amenant de nombreux défis sur la demande. Dans le cadre d’une supply chain européenne, nous bâtissons des scénarios alternatifs pour quantifier les enjeux et aussi définir les dates de prise de décisions nécessaires.
- Technica : Les attentes des clients, des distributeurs comme des consommateurs finaux évoluent vite. Quelles sont les grandes tendances qui transforment aujourd’hui votre métier ?
Dans un contexte de forte inflation, l’attention des clients et des consommateurs sur les prix est renforcée, ce qui amène à revoir l’offre de produits, taille et prix pour garder les consommateurs dans nos catégories.
Nous avons la chance de proposer aux consommateurs des marques emblématiques qu’ils connaissent depuis de très nombreuses années telles que Milka, Côté d’Or et bien sûr LU, créé à Nantes en 1848. Nous sommes présents dans les placards de 9 foyers français sur 10 et travaillons à nous assurer que nos marques continuent de répondre aux attentes des Français.
Le développement durable est également un enjeu clé et l’un de nos quatre piliers stratégiques de croissance à long terme.Mondelēz International s’est engagé à atteindre d’ici 2050 un objectif de « zéro émission nette de gaz à effet de serre » sur l'ensemble de sa chaîne de valeur, avec un objectif intermédiaire de -35 % d’ici 2030, par rapport à 2018. Ces objectifs ont été validés par la Science Based Targets initiative (SBTi). Nous travaillons aussi sur nos matières premières à travers des programmes d’approvisionnements plus durables de longue date sur le blé (Programme Harmony créé en 2008) et le cacao (Programme Cocoa life créé en 2012). Enfin nous travaillons activement à la réduction des déchets d’emballage.
- Technica : Vos différents postes ont en commun une forte dimension managériale, avec des équipes réparties à l’échelle européenne. Comment fédère-t-on des collaborateurs dans des contextes culturels et opérationnels aussi variés ?
A un niveau européen, la communication est un levier très important pour partager les stratégies, les objectifs et les progrès atteints. Pour pouvoir atteindre des équipes larges, ceci implique d’utiliser différents moyens/ forums pour interagir avec les gens sur le terrain en mêlant les visio-conférences ouvertes à tous, des panels de discussion, la publication de newsletters et aussi des visites sur le terrain. L’écoute et les échanges avec les différentes équipes sont essentiels pour prendre en compte les différents contextes, tout en recherchant activement du feedback sur les perceptions des différents sujets suivant les environnements. Les situations d’un marché à un autre peuvent être très différentes même entre pays voisins. Ainsi la logistique alimentaire est très concentrée en France et très peu en Italie et en Espagne.
Partager régulièrement les objectifs et les résultats permet de donner une perspective commune aux équipes. En parallèle, créer des forums de partage de pratiques, facilite aussi les échanges et la reprise/ adoption d’initiatives à des contextes locaux.
De même le recrutement de l’équipe de management permet d’ouvrir l’équipe à de nouvelles perspectives en recrutant des profils divers en termes d’expérience, origine, d’âge et de genre.
Cette variété de profils en veillant à l’esprit d’équipe permet d’avoir une équipe qui se complète pour atteindre nos objectifs communs.
Favoriser le développement des membres de mon équipe est aussi un levier pour faciliter le l’ouverture et attirer les talents vers mon département venant de différents horizons.
- Technica : Y a-t-il un projet ou une réussite collective récente dont vous êtes particulièrement fier ?
En 2023, nous avons finalisé la rationalisation de notre réseau logistique en France en regroupant dans un seul entrepôt toutes nos catégories et les activités de co-packing . Cet entrepôt est le plus grand au monde pour Mondelez, alliant la performance opérationnelle et la durabilité par la massification des flux de bout en bout. La satisfaction fut à la hauteur des défis que nous avons surmontés.
- Technica : Pour conclure, quels conseils donneriez-vous à un.e jeune ingénieur.e qui souhaite évoluer dans les métiers de la supply chain ?
Je lui conseillerais de rester en veille constante sur les évolutions du marché et des technologies liées à la supply chain, en s’appuyant sur tous les médias à sa disposition. Il est également essentiel de multiplier les expériences dans les différentes disciplines du supply chain management — comme le demand planning, le supply planning, la logistique ou encore le service client — afin de développer une vision d’ensemble et une compréhension globale des enjeux. Enfin, je l’encouragerais à s’orienter vers ce qui l’attire le plus : c’est souvent en suivant ses propres centres d’intérêt que l’on trouve l’épanouissement professionnel.
Questionnaire express
- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que vous étiez à Centrale Lyon ?
Curieux, heureux et intégré dans la vie de la promo
- Un.e camarade de promo avec qui vous traîniez tout le temps ?
Plusieurs ! Vincent Houlgate, Laurent Calaque, Laurent Wolffsheim, Brice Welti, Yann Rousset, Mathieu Girard.
- Votre matière préférée à Centrale Lyon ?
Gestion de production
- Celle que vous appréciez le moins ?
Physique Micro
- Ce que vous vouliez faire comme « métier » pendant votre formation à l’ECL ?
Ingénieur méthodes
- Que penserait l’élève que vous étiez s’il découvrait votre parcours pro jusqu’à aujourd’hui ?
Cela me semblerait très logique et épanouissant, c’est un parcours qui m’a permis de suivre mes intérêts.
- Un conseil que vous donneriez aux élèves actuellement à Centrale Lyon ?
Rechercher des stages à l’étranger, et essayer d’utiliser au maximum l’ouverture large de la formation de Centrale pour affiner et suivre votre motivation.
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