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11 février 2019

Un Centralien, un métier : Philippe Lairy, pilote de ligne chez Air France

Ce n’est pas lui faire affront de dire de Philippe Lairy (ECL 78) qu’il a de longues heures de vol au compteur. Pilote de ligne pour la compagnie Air France, il a accepté pour Technica de survoler sa carrière l'espace d'une interview. Ladies and Gentlemen, this is your captain speaking !


TECHNICA : Comment passe t-on de Centrale Lyon aux commandes d'un avion de ligne ?

En sortant de Centrale, j’ai travaillé comme ingénieur au CNRS puis à Air France où j’ai été amené à côtoyer des pilotes … qui m’ont donné très envie d’exercer ce métier . Il était possible de se présenter au concours de l’ ENAC (Ecole Nationale de l’Aviation Civile) si l’on avait en poche les certificats du Pilote de ligne théorique ainsi qu’un diplôme d’ingénieur. En cas de réussite au concours, l’école prenait en charge les coûteuses heures de vol. A l’issue de la formation, on pouvait se présenter au concours pilote Air France ou celui d’autres compagnies.

J’ai ainsi travaillé comme ingénieur pendant 4 ans et dans le même temps je préparais seul les certificats du pilote de ligne. Après l’obtention du PL théorique, j’ai réussi le concours de l’ENAC. A issue de cette formation, Air France m’a repris comme ingénieur puis j’ai démissionné après ma réussite à la sélection pilote.

Pour les jeunes ingénieurs qui voudraient exercer ce métier il y a beaucoup de possibilités. Il est fortement conseillé de regarder les critères très évolutifs sur le site des compagnies. L’ENAC et les « cadets » d’Air France restent des voies très prisées pour piloter dans notre compagnie nationale.

A quand remonte votre envie de devenir pilote ? 

C’est un métier qui m’a toujours fasciné mais que je me suis interdit en prépa car pour espérer réussir le concours de l’ENAC il était préférable de se présenter avec des heures de vol. A priori ce n’était pas exigé mais sans heures de vol les chances de réussite étaient faibles. Je ne pouvais pas demander à mes parents cet effort là. Une fois à Centrale, j’ai effectué les stages ouvriers et ingénieur dans le milieu aéronautique et j’ai ainsi pu obtenir le pilote privé dans des conditions très intéressantes mais ça c’est une autre histoire !

Il m'est arrivé de refuser de piloter un avion sur des critères « ingénieur ».

Y a t-il beaucoup d'ingénieurs parmi les pilotes de ligne ? 

Difficile de répondre à cette question, approximativement je dirais 5%.

Votre formation à Centrale Lyon vous a t-elle aidé à certains moments de votre carrière ?

Oui, sans hésitations, une fois j’ai même refusé un avion sur des critères « ingénieur » : quand je travaillais au sol à la direction du matériel j’avais eu la chance d’avoir une formation complémentaire d’ingénieur Boeing . Cette « philosophie Boeing » acquise lors de mes années au sol m’a permis de prendre cette décision qui pouvait être lourde de conséquences pour le jeune commandant que j’étais.

 

Quels sont les appareils que vous avez pilotés qui vous ont le plus marqué et pourquoi?

J’ai commencé comme copilote sur FOKKER 27 à la Postale de nuit, anciennement l’AEROPOSTALE. Ce seul nom est porteur d’une tradition, d’un savoir faire et d’une aventure humaine incroyable. Je pourrais vous parler pendant des heures de la Postale tant cette expérience unique dans la lignée de nos aînés m’a appris des techniques de pilotage dans des conditions difficiles. Comme tous ceux qui sont passés par « La Postale » j’en garderai à jamais un souvenir ému.

Ensuite, toujours copilote, j’ai été qualifié sur Boeing 747-200. Le gap entre un bi-turbopropulseur court-courrier à hélices et un quadriréacteur long-courrier, le plus gros du monde, était assez haute mais le Boeing 747 est un avion pensé pour les pilotes et j’avais bien appris à piloter… J’ai découvert les équipages PNC et en escale un monde vaste car le réseau de cet appareil couvre la terre entière. L’avion est très sain, redondant en électricité et hydraulique, fiable, très fin et agréable à piloter.

Plus tard, j’ai été nommé commandant de bord moyen-courrier sur Boeing 737-500 puis j’ai terminé ma carrière sur Boeing 777 pendant 14 ans comme commandant très long-courrier. Pour ces deux derniers avions l’équipage de base avait perdu son mécanicien navigant et cette fonction était donc répartie entre le copilote et le commandant. La notion de « « glass cockpit » » est apparue avec le B737, l’informatique avec les réseaux et le « « fly by wire » sur le B777.

A chaque type d‘appareil est associé un rythme de vie et à chaque fonction copilote ou commandant, un niveau de responsabilités et d’exercice de la fonction complètement différent. J’ai tout adoré du premier au dernier jour sans pouvoir établir de hiérarchie dans les avions pilotés.

Pendant toute ma carrière l’évolution technologique a été absolument considérable. En 30 ans, soit une génération, tout a changé!

Avez-vous connu lors de votre carrière, une évolution technique/technologique qui a changé diamétralement votre quotidien de pilote ?  

Pendant toute ma carrière l’évolution technologique a été absolument considérable. En 30 ans, soit une génération, tout a changé. Prenons par exemple les commandes de vol. Au début elles étaient assurées par des câbles ensuite elles furent hydrauliques et maintenant électriques. Auparavant, un interrupteur actionnait un dispositif physique maintenant on envoie un message dans un réseau et chaque dispositif physique répond ou non aux informations envoyées par l’interrupteur actionné… Hier, un avion comme le Fokker 27 ou le B747 était complètement « figé » et le pilote devait apprendre et connaître parfaitement tous les circuits pour comprendre exactement ce qui se passait.

Aujourd’hui un avion est immuable dans son « hardware » mais son cœur opérationnel est constitué de centaines d’ordinateurs qui communiquent entre eux et sont paramétrables à volonté ! Exactement comme lorsque l’on change de système d’exploitation sur un ordinateur. Le travail pour un pilote en devient totalement différent car très évolutif dans la gestion des systèmes. L’environnement du vol a lui aussi évolué car le trafic aérien s’est beaucoup densifié.
 

Y a t-il une vrai différence entre piloter un Airbus et un Boeing ?

Je n’ai jamais piloté d’Airbus mais je connais les principes fondamentaux qui régissent la conception de ce type d’avion…Les fonctionnalités sont quasi-identiques mais la « philosophie » si l’on peut parler de philosophie pour la conception d’un avion est différente. Sans rentrer dans les détails l’orientation Airbus serait plus « ingénieur » alors que Boeing serait davantage orienté « pilote ».

Sans rentrer dans les détails l’orientation Airbus serait plus « ingénieur » alors que Boeing serait davantage orienté « pilote ».

Selon vous, quelles sont les principales qualités qu'un commandant de bord doit avoir ? Et le pire défaut que certains devraient gommer ?

La principale qualité d’un pilote est la capacité d’intégrer parfois dans un temps très court un nombre important de paramètres de natures différentes (humaines, techniques, météorologiques etc…) Un commandant doit avoir en outre le recul nécessaire et savoir obtenir l’adhésion de son équipage pour prendre des décisions parfois lourdes de conséquences. Le pire défaut serait de croire que vous ne commettrez jamais les erreurs de vos collègues …

On entend parfois dire que les pilotes de ligne sont bien payés parce qu'au cours de leur carrière, ils seront amenés à prendre des décisions importantes voire vitales. Est-ce qu'on peut dire avec du recul que vous avez mérité votre salaire ? :)

Quand j’ai commencé mon métier on disait qu’un pilote « sauvait »  deux ou trois avions dans sa carrière…c’est vrai et c’est pour ne pas rater ces deux ou trois fois que nous sommes sur le qui-vive tout le temps ! Quand un chirurgien vous opère c’est vous le malade et s’il vous rate il en sera certainement atteint mais pas de la même manière que vous. Le commandant est dans l’avion avec ses passagers et les décisions qu’il prend l’affectent au premier chef. Quand on connaît l’exigence, la discipline, les connaissances, l’hygiène de vie et les contrôles périodiques simulateur, médicaux, techniques et linguistiques requis pour conserver sa licence de vol je puis vous assurer que je suis conscient d’avoir reçu un salaire confortable certes mais sans avoir à en rougir. Je ne connais aucune profession qui soit autant contrôlée et qui nécessite une telle attention permanente, sans droit à l’erreur avec une responsabilité indiscutablement totale.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer ce métier est tout sauf routinier !

Pilote de ligne est-il un métier routinier ? Qu'est-ce qui vous faisait aimer votre métier ?

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer ce métier est tout sauf routinier. Chaque vol est différent : l’équipage, les destinations, les passagers et les météos varient à chaque fois. Chaque changement de type d’avion implique une totale remise en cause du pilote car les stages de qualifications demandent beaucoup de travail. Puis on découvre un autre réseau, des pays que l’on ne connaît pas. Quand on commence à connaître un réseau on change d’avion…ou de fonction …et ainsi de suite. Personnellement je ne me suis jamais ennuyé sur un vol court, moyen ou long-courrier. C’est cette variété de vies, de fonctions, de responsabilités qui a rempli de bonheur les milliers d’heures de vol que j’ai au compteur !
 

A l'inverse qu'aimiez-vous le moins ?

Je ne regrette pas la fatigue liée aux longues nuits en vol et le décalage horaire vers l’est que j’avais du mal à encaisser.
 

Un dernier message pour ceux et celles qui auraient peur en avion ?

Avoir peur en avion est tout à fait légitime. Il n’est pas « naturel » de se balader dans un tas de tôles à 10000 mètres d’altitude, dans un air très sec à des vitesses pas possibles dans un environnement météo parfois hostile. Les passagers ont souvent peur des turbulences, des changements de régime moteur, de bruits bizarres etc… il faudrait pouvoir tout expliquer en temps réel pour les rassurer mais c’est impossible.

Pour ceux qui ont juste un peu d’appréhension un petit exercice de relaxation peut aider, ceux qui sont vraiment gênés peuvent consulter leur médecin et ceux qui ont très peur peuvent suivre un stage « apprivoiser l’avion » (stage anti stress Air France) mail.antistress@airfrance.fr qui leur apportera une partie des connaissances de ce domaine souvent méconnu.

La connaissance sommaire de la mécanique du vol, associée à la connaissance des phénomènes météo peut faire baisser considérablement le stress. Sachez enfin que dans les grandes compagnies internationales comme Air France, les avions sont très bien entretenus et les équipages compétents et bien entraînés. N’oubliez jamais que votre commandant est dans l’avion comme vous, qu’il veut arriver à la retraite comme vous et tant qu’il aura les pouvoirs les plus étendus pour parvenir à cet objectif vous pouvez être rassurés.

 

Auteur

Promo 1978 de Centrale Lyon, puis ingénieur CNRS et Air France avant ENAC en 1982
1984 Copilote Air France affecté à la Postale de nuit (Fokker 27) puis en 1988 sur Boeing 747
1994 Commandant Air France sur Boeing 737-500 puis en 2001 sur Boeing 777

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