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30 juin 2021

Tête chercheuse : Véronique Kehr-Candille (ECL 1987), ingénieure de recherche à l’ONERA
Office national d’études et de recherches aérospatiales

Véronique Kehr-Candille (ECL 1987) est ingénieure de recherche à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), établissement public de recherche (de statut EPIC) sous la tutelle du ministère des Armées. Pour Technica, elle nous raconte son métier, ses travaux et la satisfaction intellectuelle de se confronter régulièrement à de nouvelles problématiques à explorer.


Bonjour. En quoi consiste votre travail d'ingénieure de recherche à l'ONERA?
En tant qu'ingénieure de recherche, en modélisation de matériaux et structures, j'interviens sur des projets variés qui vont de concepts académiques (développer une nouvelle modélisation mathématique du comportement d’un matériau composite par exemple) à des activités plus proches de celles des industriels en bureau d’étude (simuler le comportement vibratoire d’un fuselage d’avion).  Si l’intitulé du poste n’a pas changé depuis mes débuts, les responsabilités « effectives » ont bien sûr évolué au cours du temps et peuvent dépendre des projets, et peuvent inclure les tâches de négociation, planification, suivi du budget (mais les tâches techniques et scientifiques sont toujours présentes).

Concrètement avec quels « outils » travaillez-vous ?
Je travaille sur les aspects modélisation et simulation : mon outil de travail principal est un ordinateur, relié à des serveurs de calcul puissants. Il m’arrive de temps à autre d’ouvrir un livre de maths ou d’analyse numérique. Je me déplace quelquefois pour visiter des installations expérimentales mais je ne suis que spectatrice.

Quelles matières enseignées à Centrale Lyon utilisez-vous le plus souvent dans votre travail ?
Compte tenu de la nature de mon travail, les cours que j’utilise le plus à la base sont bien sûr les cours scientifiques, surtout ceux concernant tous les aspects matériaux et structures (c’était mon option de 3ième année), et aussi l’analyse numérique. Les connaissances sont bien évidemment à réactualiser en permanence. Signalons que les enseignants de l’ECL sont des chercheurs reconnus au plus haut niveau dans leur domaine, et que les cours sont d’un très bon niveau. Un chercheur n’est jamais enfermé dans son domaine, et a besoin d’échanger avec les autres domaines scientifiques : l’ECL est une école généraliste, et l’ensemble des cours scientifiques m’a servi un jour ou l’autre. La « culture ingénieur » délivrée à l’ECL, qui conduit à prendre en compte la globalité d’un problème (y compris dans ses aspects moins scientifiques), m’a aussi beaucoup aidée.

Quelles sont selon vous les qualités indispensables d'une bonne chercheuse ?
Il faut savoir être autonome, et très rapidement, dès le début de carrière. Il faut aussi être curieux, ne pas hésiter à sortir de son domaine de confort, et se remettre régulièrement en question. Il faut être patient aussi, les échelles de temps sont souvent longues (entre le montage du projet, le financement à trouver, la conduite du projet à proprement parler, la valorisation des résultats, …). Et bien évidemment la rigueur.

Quelle est à ce jour, votre plus grande satisfaction en tant que chercheuse ? Le jour où vous vous êtes dit « eureka, j’ai trouvé ».
Il n’y a pas d’idée fulgurante. Newton et son pommier, c’est une image d’Épinal. La recherche est un travail de longue haleine, un travail collectif également. On améliore par petites touches une partition dont l’écriture est déjà bien avancée par nos prédécesseurs.
J’ai plutôt des « micro » satisfactions : quand on trouve l’erreur au milieu des lignes de code, ou quand la représentation des résultats numériques se superpose parfaitement à celle des résultats d’essais.

Y-a-t-il à l’inverse des moments, des projets où vous vous êtes dit « ça ne marche pas, je n’y arriverai jamais». Comment gérez-vous ces moments de doute ?
Pour les aspects scientifiques, il arrive qu’on ne débouche pas, ou que des difficultés imprévues arrivent. Ce n’est jamais dramatique. Ce genre de choses est tout à fait admis, cela fait partie du travail, et cela arrive à tout chercheur. Par contre, il faut se remettre en question, rapidement, et analyser ce qui n’a pas fonctionné. Le plus difficile à gérer, ce sont les projets scientifiquement prometteurs, qu’on arrête pour des raisons financières ou « politiques ». La motivation est alors en berne pendant quelques temps.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail de chercheuse ? Le plus satisfaisant est-il de chercher ou de trouver ?
Le plus satisfaisant c’est l’exercice intellectuel qui consiste à chercher. Quand on trouve, on est content bien sûr, mais bon, du coup, c’est fini. Les aspects qui me plaisent le plus dans mon travail sont l’autonomie d’une part, et l’aspect intellectuel très stimulant d’autre part : on apprend sans cesse, on se renouvelle tout le temps, les neurones ne s’ennuient jamais. J’aime aussi ce sentiment d’être à la pointe des avancées techniques.

A quoi ressemble une journée de travail ?
Une partie de la journée est consacrée à un travail plutôt solitaire : réfléchir, lire des articles, développer du code. Mais une bonne partie du temps est consacrée à la « communication », au sens large : présenter ses travaux, écouter les présentations des autres, aller en réunion pour monter les futurs projets, échanger (avec les collègues, les chercheurs d’autres organismes, les ingénieurs d’Airbus ou Safran), encadrer les doctorants, …

Que vouliez-vous faire en entrant à l’ECL ? Et  une fois votre diplôme en poche ?
Je n’avais absolument aucune idée de carrière en entrant à l’ECL. Et une fois le diplôme en poche, j’envisageais un 1er poste dans les services R & D d’un grand groupe industriel. Mon entrée à l’Onera, et la carrière de chercheuse qui en a découlé, est une question d’opportunité.

Si on vous avait dit à cette époque que vous alliez avoir cette carrière, qu’en auriez-vous pensé ?
Difficile à dire ! J’aurais peut-être été déçue de ne pas avoir eu de responsabilités affichées formellement (pas de « directeur de XXX » ou de « responsable YYY » dans un intitulé de poste par ex), ou de ne pas encadrer d’équipes de N personnes (avec N croissant au cours du temps) : 2 choses qui nous semblaient à l’époque comme des marqueurs d’une carrière « réussie » Ou alors j’aurais été ravie de constater qu’on peut rester proche du scientifique tout au long de sa carrière, sans avoir une carrière au rabais

Dernière question. La recherche est peu valorisée en France – que diriez-vous à des étudiants ingénieurs pour les convaincre de se diriger vers ce secteur ?
Il est certain que la recherche est peu valorisée en France, et sur le plan financier, ne permet pas d’atteindre les niveaux de salaire proposés par d’autres voies. La recherche permet d’avoir pas mal d’autonomie, et ce même en début de carrière (on est rapidement amené à définir soi-même le contenu de son travail), et d’avoir toujours les neurones en ébullition (on ne se dit pas qu’on a fait le tour du poste en 3 ans, et qu’il faut en changer sous peine de s’ennuyer).

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la recherche n’est pas un travail solitaire, bien au contraire. On est toujours dans une équipe, une communauté scientifique. Les coopérations sont valorisées, y compris au niveau international (niveau européen beaucoup, mais pas uniquement). Rien n’oblige à faire toute sa carrière dans la recherche. Une première expérience en recherche se valorise facilement dans des services R&D des entreprises. Pour celles et ceux qui se sentent une fibre « entrepreneur », pourquoi pas créer sa propre entreprise quand on tient une idée géniale (les soutiens à l’essaimage et à la création de start-up sont nombreux). Pour ceux qui hésitent, une thèse CIFRE (thèse financée par un industriel) est un bon moyen d’avoir une 1ère expérience en recherche en gardant un pied dans l’industrie.

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