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10 avril 2025

Laure Charret (18) : structurer la durabilité des projets lithium d’Imerys en Europe

Dans le contexte actuel où l’Europe cherche à sécuriser son approvisionnement en matériaux critiques pour accompagner sa transition énergétique, Laure Charret pilote la stratégie de durabilité des projets lithium d’Imerys notamment pour le site d'Échassières dans l’Allier. À la croisée des enjeux industriels, environnementaux et sociétaux, elle nous dévoile les défis d’un projet minier innovant et ambitieux, au service de la souveraineté énergétique et du respect des écosystèmes.


Technica : Bonjour Laure. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi consiste votre rôle de responsable durabilité des projets lithium chez Imerys ?

Mon rôle consiste à assurer l’implémentation de l’ensemble des sujets liés à la durabilité au sein des deux projets d’extraction de lithium d’Imerys : le projet EMILI en France et le projet British Lithium en Angleterre.

Il s’agit d’une part d’assurer que les sujets liés à la durabilité, tels que la réduction de l’empreinte carbone, sont pris en compte dans le développement des projets et que ces derniers sont alignés avec le programme SustainAgility du Groupe Imerys. D’autre part, je contribue à l’ensemble des composantes qui nécessitent de démontrer les efforts faits, que ce soit les demandes de permis, les relations avec des clients potentiels ou dans le cadre de recherche de financements. Ces composantes peuvent ensuite conduire à de nouvelles initiatives à implémenter.

Technica : Quels sont les projets que vous menez actuellement?

L’une de mes principales missions est de suivre l’évolution de l’empreinte carbone des projets et de mettre en place des actions pour la réduire. Par exemple, ceci consiste à vérifier la faisabilité technique et économique de certaines options comme l'amélioration de l’efficacité énergétique ou l’utilisation de biogaz dans le four de calcination, utilisé à l’étape de conversion. Je mène également des discussions avec les potentiels fournisseurs afin de réduire au maximum l’empreinte carbone des réactifs utilisés, tout en garantissant que ces derniers répondent aux spécifications du procédé. Il faut trouver la meilleure option pour concilier la réussite du projet sur un plan technique, les impératifs économiques et une empreinte environnementale réduite.

Par ailleurs, j’ai récemment contribué au dossier de reconnaissance par l’Union Européenne du statut de projet stratégique d’EMILI. Ce statut a été reconnu fin mars et démontre l’importance de ce projet pour assurer la souveraineté européenne en matériaux critiques.

Enfin, Imerys s’est engagé à suivre le standard IRMA (Initiative for Responsible Mining Assurance), qui est le standard de référence pour développer une mine responsable. Ce standard couvre de nombreux sujets, regroupés en 4 thématiques: intégrité des affaires, responsabilité sociale, héritage de la mine et responsabilité environnementale. J’interviens essentiellement sur ce dernier sujet pour vérifier que les exigences d’IRMA sont correctement prises en compte.

Technica : Imerys développe des projets lithium dans l’Allier. Quels sont les défis liés à l’extraction et au traitement du lithium dans ce contexte ?

Les défis liés à l’extraction et au traitement du lithium dans l’Allier ne sont pas uniquement techniques. L’enjeu de l’acceptabilité sociale est clé pour pouvoir ouvrir une mine en France, ce qui n’a pas été fait depuis plusieurs dizaines d’années. Ceci implique non seulement d’expliquer ce qu’est une mine au XXIème siècle mais également de s’adapter à une réglementation qui évolue pour prendre en compte de nouveaux enjeux.

En termes d’enjeux techniques, Imerys a fait le choix d’une mine souterraine, ce qui a de nombreuses conséquences en termes d’exploitation. Par ailleurs, le projet est un projet intégré localement : toutes les étapes du procédé sont situées dans l’Allier et, pour limiter le recours aux camions et les nuisances associées, Imerys a décidé d’utiliser au maximum le rail, ce qui implique une logistique et des installations dédiées. Les grandes étapes du procédé sont expliquées dans le schéma conceptuel ci-dessous. 

Schéma conceptuel du projet EMILI

Principales étapes du projet :

  • Une mine souterraine, sous la carrière des Kaolins de Beauvoir (site déjà exploité en surface).
  • Une usine de concentration, également sur le site de Beauvoir, assurant la séparation des minéraux contenus dans le granite qui est la roche minéralisée en lithium.
  • Une plateforme de chargement ferroviaire, où le concentré du minéral qu’on appelle le mica sera transporté par canalisations puis filtré avant d’être chargé dans des trains.
  • Une usine de conversion, sur la zone industrielle de « La Loue » (commune de Saint-Victor, dans l’agglomération de Montluçon), accessible par voie ferroviaire et ayant une capacité annuelle de production d’environ 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium, à partir de concentré de mica.

Technica : Pouvez-vous nous rappeler quels sont les principaux impacts environnementaux liés aux procédés d’extraction et de raffinage du lithium? Et quelles technologies sont utilisées pour les limiter?

Le premier impact auquel on pense lorsque que l’on parle d’extraction concerne celui sur les sols et sur la biodiversité. Pour limiter au maximum cet impact, le choix a été fait d’avoir une mine souterraine et une usine de conversion située sur un ancien site industriel pour limiter l’artificialisation des sols. Le choix d'implanter une mine et les premières opérations de traitement du minerai en souterrain permet également de réduire le bruit et les poussières associés à l’extraction.

Un deuxième enjeu important réside dans la question de l’eau. Pour cela, Imerys a mis en place des procédés qui permettent de recycler plus de 90% de l’eau et donc de réduire au maximum les prélèvements nécessaires. Pour l’usine de conversion, l’eau ne sera pas prélevée dans le milieu naturel mais à la sortie de la station d’épuration de Montluçon. L’eau utilisée sera purifiée, avant d’être envoyée vers l’usine de conversion où des unités d’osmose inverse produiront les qualités d’eau requises par le procédé. Enfin, pour éviter complètement les rejets dans l’eau, Imerys a sélectionné une technologie de Zéro Rejet Liquide pour traiter ses effluents. Cette technologie, encore peu répandue en France, vise à éliminer complètement la décharge liquide des installations industrielles. Ce process implique différentes étapes de traitement, comme l’osmose inverse, l’évaporation ou la cristallisation, l’objectif étant de séparer les solides dissous, les sels et autres contaminants de l’eau pour pouvoir recycler l’eau dans le procédé. Les solides résiduels sont ensuite éliminés. Par ailleurs, de nombreuses études sont en cours pour estimer et réduire l’impact des prélèvements d’eau résiduels sur le milieu naturel.

Par ailleurs, la gestion des volumes de minerais est un enjeu majeur pour optimiser l’exploitation du gisement et minimiser les impacts en surface. L’objectif est de remblayer un maximum de ces volumes dans les chambres et galeries, au fur et à mesure de l’exploitation de la mine souterraine. Cependant, en raison du foisonnement, une partie de ces volumes ne pourra pas être remblayée en souterrain et sera utilisée en remblais de carrières existantes. 

A l’étape de raffinage, un maximum d'éléments seront valorisés comme co-produits et vendus sur les marchés pertinents : le carbonate de calcium (utilisé dans toutes les industries), le chlorure de sodium, qui peut être utilisé pour le déneigement des routes et le sulfate de potassium qui peut être utilisé comme fertilisant. La glasérite (sulfate double de potassium et de sodium) issue de la dernière étape du raffinage est réutilisée en début de procédé. L’objectif étant de réduire au maximum les déchets non valorisables et les impacts associés.

Enfin, les engins utilisés dans la mine seront électriques pour non seulement réduire la consommation de diesel et les émissions (notamment de CO2) associées, mais également pour réduire les besoins en ventilation.

Technica : En quoi consiste le programme SustainAgility dont vous êtes responsable? Où en est son développement et pour quels objectifs ?

Le programme SustainAgility a pour objectif d’intégrer l’ensemble des sujets liés à la durabilité dans l’entreprise. Il est structuré autour de différents piliers et thèmes :

- Valoriser nos équipes, qui regroupe les sujets liés à la santé et à la sécurité, mais également l’ensemble des sujets de diversité, équité et inclusion et d’engagement auprès de nos communautés locales

- Construire l’avenir avec nos clients, focalisé sur une conduite des affaires éthiques et le développement de solutions durables pour nos clients (à la fois en réduisant l’impact environnemental de nos produits, mais également en développant des produits pour des marchés liés à la transition écologique)

- Préserver notre planète, ce pilier couvre les enjeux environnementaux : adaptation et atténuation du changement climatique et maîtrise et gestion de l’ensemble de nos impacts environnementaux

Le programme est déployé grâce à des objectifs pluriannuels par thème. Pour n’en citer qu’un, on peut mentionner les objectifs ambitieux d’Imerys en termes de réduction de ses émissions de CO2 : - 42% scope 1 et 2 en 2030 par rapport à 2021. En 2024, nous avons déjà réduit nos émissions de 28% pour le scope 1 & 2 et Imerys s’est engagé à investir entre 20 et 25 millions d’euros par an dans des projets permettant de réduire les émissions de GES du Groupe.

Technica : Dans quelle mesure l’extraction du lithium en France a-t-elle moins d’impact sur l’environnement qu’en Amérique du Sud ou en Australie par exemple ? Cela joue-t-il sur le coût de l’extraction?

J’aimerais tout d’abord rappeler qu’il existe actuellement deux grandes voies pour produire du lithium :

- L’extraction à partir de saumure (principalement en Amérique du Sud). Les saumures sont exposées à l’air et soleil pendant 18 mois pour pouvoir récupérer les sels de lithium après évaporation de l’eau

- L’extraction à partir de roches dures (principalement en Australie avant le raffinage en Chine). Le lithium est extrait de différentes roches, dans des mines souterraines ou à ciel ouvert.

D’autres technologies sont en cours de développement, comme la DLE (Direct Lithium Extraction). L’objectif de cette technologie est de récupérer le lithium contenu dans des saumures ou des eaux géothermales sans passer par l’étape d’évaporation naturelle. Les enjeux environnementaux sont donc très différents, en termes de CO2 mais également de consommation d’eau et d’espace nécessaire pour la production.

L’extraction du lithium en France par Imerys serait dans la catégorie des roches dures, avec un impact sur l’utilisation des sols réduit et une empreinte eau limitée. Plus largement, le fait d’extraire en France nous permet de bénéficier d’un mix électrique décarboné et d’un ensemble de réglementations qui permettent de protéger l’environnement.

Evidemment, ceci à un coût. Il est difficile de chiffrer le surcoût par rapport à un projet similaire ailleurs, mais on estime que les choix faits pour réduire notre empreinte environnementale conduisent à une augmentation d’environ 20% des coûts du projet.

Technica : Un des enjeux de l’exploitation du lithium est son recyclage. Peut-on s'attendre à des avancées dans ce domaine ?

Le recyclage des batteries sera clé pour rendre le lithium plus circulaire. Aujourd’hui, le lithium n’est que très peu recyclé. Différents projets sont en cours pour améliorer cet aspect grâce notamment à des technologies largement maîtrisées.

Cependant, la législation européenne a proposé un nouveau règlement qui forcera l’inclusion de matières premières recyclées dans la production de batteries neuves :

  • 2025 : déclaration obligatoire du contenu recyclé;

  • 2031 : 6 % pour le lithium

  • 2036 : 12 % pour le lithium

Les institutions européennes visent également à contrôler l’efficacité du processus de recyclage, et donc le rendement des procédés utilisés, avec de nouveaux objectifs obligatoires:

  • Pour les batteries mises en circulation à partir de 2027 : 50 % pour le lithium ;

  • Pour les batteries mises en circulation à partir de 2031 : 80 % pour le lithium

Ce marché va donc évoluer très rapidement.

Technica : Quels sont selon vous les principaux verrous technologiques à lever pour améliorer l’efficacité et la durabilité des projets lithium ?

Je pense que l’un des verrous technologiques majeurs est lié à l’électrification des procédés. Un certain nombre de procédés ne sont pas électrifiables lors de la production du lithium. C’est donc pour moi un point majeur de développement, qui doit bien sûr s’accompagner du développement d’un réseau électrique adapté et d’une production d’électricité décarbonée.

Une autre option serait l’utilisation de combustibles alternatifs comme l’hydrogène (vert bien sûr) ou le biométhane dans le four de calcination. De nombreux projets sont en cours d’étude et devraient permettre de proposer d’autres solutions dans les prochaines années. Cela dit, l’hydrogène présente également de nombreux défis, notamment liés à la sécurité sur site. Ainsi, le point essentiel pour moi est la décarbonation des procédés nécessitant de très hautes températures.

Technica : Faisons un peu de science-fiction : nous sommes en 2050, à quoi ressemble l’industrie du Lithium en Europe ?

L’idéal serait d’avoir une industrie du lithium en Europe qui repose sur un mix de technologies (existantes actuellement ou non) qui permettent de couvrir l’intégralité des besoins tout en respectant l’environnement et les communautés locales. Ces besoins seront également couverts par le développement massif du recyclage. Enfin, les besoins en mobilité vont naturellement évoluer: voitures plus légères, développement du covoiturage…

Questionnaire express

- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que vous étiez à Centrale Lyon ? Curieuse, enthousiaste… et très occupée

- Un.e camarade de promo avec qui vous traîniez tout le temps ? Difficile d’en choisir un ou une, je dirais donc Claire, Helena et Laetitia

- Votre matière préférée à Centrale Lyon ? L’automatique ou l’ingénierie des matériaux

- Celle que vous appréciez le moins ? La mécanique des fluides

- Ce que vous vouliez faire comme « métier » pendant votre formation à l’ECL ? J’ai longuement hésité entre l’automatique et le bâtiment durable, avant de me spécialiser dans l’industrie durable.

- Que penserait l’élève que vous étiez s’il découvrait votre parcours pro jusqu’à aujourd’hui ? Un peu surprise du choix de l’industrie minière mais heureuse de contribuer à une industrie de plus en plus respectueuse de l’environnement

- Un conseil que vous donneriez aux élèves actuellement à Centrale Lyon ? Profiter des années en école d’ingénieur pour s’intéresser à des sujets variés et trouver celui qui vous correspond le mieux

 

Auteur

Laure Charret est aujourd’hui Sustainability Manager pour les projets lithium d’Imerys, où elle pilote le déploiement du programme de durabilité du groupe, SustainAgility. Elle apporte également un appui technique aux équipes marketing et développement commercial, conduit des analyses de cycle de vie (ACV) des produits lithium et élabore la feuille de route de décarbonation des projets. Avant cela, elle a occupé le poste de Product Sustainability Specialist au sein du même groupe, contribuant à la définition et au suivi des performances environnementales des produits et projets via le développement d’outils, d’indicateurs et de tableaux de bord dédiés. Engagée et experte, elle œuvre au quotidien pour une industrie plus durable.

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