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06 décembre 2022

État des lieux et enjeux de l’hydrogène bas-carbone en France

Dans le contexte climatique et géostratégique actuel, l’hydrogène apparaît comme un vecteur d’énergie prometteur, capable d'apporter à l’avenir des solutions aux problématiques soulevées. François HENIMANN (ECL 1976), ancien Directeur National pour l’expertise réseaux d’électricité et raccordement au réseau d’ERDF, devenu ENEDIS, et aujourd’hui consultant indépendant dans le domaine de l’énergie, est revenu lors des dernières Rencontres ACL, sur l’écosystème actuel autour de l’hydrogène bas carbone et ses enjeux pour les années à venir.


L’hydrogène en France en 2022

Chaque année, un peu moins d’un million de tonnes d’hydrogène est utilisé en France, en grande partie par l’industrie lourde, notamment le raffinage et la chimie avec la production d’ammoniaque et d’engrais. 50 % de cette consommation est auto-générée par les process industriels dans les raffineries. Quant à l’autre moitié, appelée hydrogène gris, elle est obtenue par procédé de vaporeformage du méthane, responsable de l’émission de 5,5 millions de tonnes de CO2 par an. Une pollution conséquente, à mettre en perspective avec les 80 millions de tonnes de CO2 émis par l’industrie française dans son ensemble chaque année. Des efforts importants restent donc à fournir pour décarboner l’hydrogène.

Décarbonation de l’énergie en France : quelle place pour l’hydrogène ?

Avec encore 60 % du mix énergétique représentés par les énergies fossiles en 2019, la nécessité de décarboner l’énergie en France fait aujourd’hui consensus, que ce soit pour des raisons climatiques ou de dépendance énergétique. La décarbonation passera non seulement par l’efficacité et la sobriété énergétique, mais aussi par l’électrification des usages avec une électricité bas-carbone (nucléaire, hydraulique, éolien, solaire), pour 2/3 de la consommation d’énergie, et le recours aux énergies renouvelables thermiques (biomasse, biocarburants, biométhane, pompes à chaleur, géothermie).

L’hydrogène bas carbone a toute sa place dans cette transition énergétique, comme nouveau vecteur énergétique capable d’apporter des solutions viables, que ce soit pour la décarbonation de l’industrie lourde, la production de gaz vert (production de méthane de synthèse à partir d’hydrogène et de CO2) injecté dans les réseaux en complément du bio-méthane, l’alimentation électrique de sites isolés ou de secours, et partout où l’électrification directe atteint ses limites, notamment dans les transports.

L’hydrogène bas carbone, une solution de stockage pour les EnR

La production d’hydrogène bas carbone par électrolyse de l’eau est une solution de stockage à l’électricité intermittente produite par les EnR (éolien et solaire), en complément des stations de pompage hydraulique... Utiliser l’essentiel de l’électricité éolienne, ainsi que l’électricité solaire excédentaire, pour produire de l’hydrogène bas-carbone permet de les rendre utiles pour optimiser le mix électrique, en complément de la production de base nucléaire et hydraulique.

L’hydrogène bas carbone : un défi électrique

La production d’hydrogène réalisée par vaporeformage à partir du méthane émet 11kg de CO2 dans l’atmosphère par kilo d’H2. Pour devenir bas carbone, la production de l’hydrogène devra réduire ses émissions à moins de 3kg de CO2 par kg d’H2 !

Pour cela, 2 technologies déjà industrialisées existent : la Capture du CO2 avec Utilisation ou Stockage (CCUS) au niveau des vaporeformeurs de méthane industriels existants, et l’électrolyse de l’eau, qui représentera l’essentiel de la production.

L’objectif annoncé s’avère d’autant plus ambitieux qu’il se fera à grande échelle : les projections voient en effet l’hydrogène bas carbone représenter au terme de la décarbonation 10 % de notre consommation énergétique annuelle, soit un besoin de 4 millions de tonnes d’hydrogène produites chaque année, en intégrant l’hydrogène utilisé dans les process industriels comme matière première. Un défi qui passera par la production de 200 TWh d’électricité bas carbone en plus chaque année pour 30 GW d’électrolyseurs. Ce volume est à rapprocher de la production électrique en 2019 (540 TWh), qui pourrait exiger d’avoir recours partiellement au levier des importations d’hydrogène bas-carbone, en provenance de pays du Sud dotés d’un potentiel d’électricité EnR considérable.

Hydrogène bas carbone et industrie lourde

Le 8 novembre dernier Emmanuel Macron convoquait les dirigeants des 50 sites industriels français les plus émetteurs de CO2 (responsables de 43 Mt d’émissions de CO2, soit plus de 50 % des émissions de l’industrie au niveau national) pour leur demander de réduire de 20 Mt leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Pour y parvenir, l’hydrogène bas-carbone, qui fait l’objet d’un plan de soutien de 9 Md€ au total dans le cadre de « France 2030 », est la principale technologie contributive, aux côté de la CCUS.

De quoi accompagner les transitions annoncées :

- Dans la sidérurgie, avec le remplacement du coke – charbon obtenu par pyrolyse de la houille – par l’hydrogène dans le processus de réduction du minerai de fer assurerait une baisse de 40 % au moins de ses émissions,
- Dans le secteur de la chimie, l’hydrogène bas carbone devra réduire l’impact environnemental de la production d’ammoniac (engrais) et de méthanol,
- Dans les cimenteries (l’industriel VICOT travaille sur décarbonation de la chaleur nécessaire à la production et valorisation de la chaleur et du CO2 émis) et les verriers (emploi de l’hydrogène en substitution du gaz dans les fours à fusion).

Un écosystème industriel français existant

La France bénéficie du dynamisme du tissu industriel autour de l’hydrogène bas carbone, composé de grands groupes, de startups et de PME, dont le savoir-faire couvre l’ensemble de la chaîne de production. Des développements ambitieux voient le jour dans certains territoires comme en Auvergne Rhône Alpes avec le projet Zero Emission Valley. Cette dynamique industrielle profite également du soutien des pouvoirs publics avec un plan doté de 9 milliards d’euros dans le cadre du programme France 2030. L’hydrogène bas carbone peut aussi compter sur l’appui d’un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) et récemment, sur le plan Repower EU décidé pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.

Hydrogène bas carbone et mobilité

Nous nageons dans un océan de pétrole qui représentait en 2019, 508 TWh sur un total de 557 TWh d’énergie consommée chaque année par les transports, qu’ils soient routiers, agricoles, dans le secteur de la pêche ou des travaux publics !

Plusieurs technologies basées sur l’hydrogène bas carbone sont aujourd’hui en cours de développement pour alimenter les transports, depuis la production d’électricité in board à l’aide d’une pile à combustible, l’injection directe dans le moteur comme le teste Toyota, ou via des carburants de synthèse produits à partir d’hydrogène et de CO2 comme l’expérimente Porsche.

Cependant, il faut prendre en compte que l’électrification directe par batterie est bien plus efficace énergétiquement « de la source d’électricité à la roue » (30 % versus 80 %), tout en étant limitée dans ses usages et sa performance environnementale : autonomie, poids, consommation de nickel, lithium et cobalt, bilan énergétique et CO2 pour sa fabrication, capacité du système électrique à fournir une recharge rapide et décarbonée pendant les heures de pointe.

Si les batteries électriques couvriront la plupart des besoins en mobilité pour les trajets quotidiens, l’hydrogène bas carbone a des atouts à faire valoir dans le cadre d’une utilisation intensive et longue distance par les véhicules électriques légers, mais aussi dans le secteur ferroviaire en remplacement du diesel, ainsi que dans les transports lourds, maritimes et aérien, en complément des biocarburants et du biométhane, dont le potentiel est limité en volume.

Un scénario illustratif, basé sur ces hypothèses, ainsi que sur un plan d’efficacité énergétique des transports basé essentiellement sur un doublement de la part modale du ferroviaire pour le transport des voyageurs, et un triplement pour les marchandises (actuellement environ 10 % pour les deux), se résume aux diagrammes suivants :

L’électrification directe (véhicules légers et ferroviaire) assure 60 % de la décarbonation, l’hydrogène 25 %, les biocarburants et le biométhane 15 %.

Au final, la consommation finale d’énergie est réduite de 42 %, et l’utilisation des produits pétroliers quasiment éliminée, au prix d’une consommation d’électricité supplémentaire de l’ordre de 200 TWh.

Quelles solutions pour produire de l’hydrogène bas carbone

Les technologies de production d’hydrogène bas carbone sont aujourd’hui industrialisées. La plus ancienne est le vaporeformage du méthane fossile avec capture et séquestration du CO2.

Quant à l’électrolyse de l’eau, elle a l’avantage de pouvoir être soit décentralisée par exemple au niveau d’un parc éolien, ou en synergie avec l’électricité d’un réseau de source décarbonée (nucléaire, hydraulique, solaire), avec un rendement de 60-65 %. Soit centralisée avec une électrolyse haut rendement qui nécessite de la chaleur gratuite, à côté de centrale nucléaire par exemple, ou comme l’expérimente le cimentier Vicat qui fait de l’électrolyse grâce à l’émission de chaleur de ses hauts fourneaux avec un rendement de 90 % (procédé développé par le CEA).

L’électrolyse implique logiquement des ressources en eau. On considère qu’il faut 27 millions de m³ d’eau pour obtenir 3 millions de tonnes de d’hydrogène bas carbone en électrolyse. Si ce volume d’eau ne représente que 1 % de ce que consomme l’industrie chaque année en France, il n’en reste pas moins un élément à prendre en considération afin de s’assurer de la disponibilité des ressources hydrauliques et de l’impact environnemental.

On notera également que l’électrolyse émet de l’O2 qui pourrait être capturé pour répondre à d’autres besoins comme par exemple l’oxygène médical.

D’autres technologies autour de l’hydrogène bas carbone sont en émergence comme la pyrolyse de bois ou de plastiques, la photo électrolyse de l’eau directement avec le soleil via des panneaux voltaïques, ou encore des plasmas froids capables de produire du Graphène et de l’H2 à partir de méthane fossile.

Des coûts de production compétitifs ?

Les coûts de production de l’hydrogène dépendent notamment des cours du méthane et de l’électricité. Jusqu’à il y a un an, le méthane coûtait moins de 20 euros du MWh. Il en vaut aujourd’hui 80 ! L’hydrogène gris avec ses 11 kg de CO2 par kg d’H2 coûtait 1,5 à 2€/kg, contre 5€ du kg d’hydrogène aujourd’hui, dont 4€ rien que pour la molécule de méthane.

Si on veut faire de l’hydrogène bas carbone à l’aide de vaporeformage du méthane en captant le carbone pour le réutiliser (Carbon capture, utilisation and storage (CCUS)), le process a un coût d’environ 2 euros, pour un total de 6 à 7€/kg contre 4,5 à 5 il y a seulement un an. Si le prix du méthane se maintient durablement à ce niveau, cette technologie ne sera pas viable.

 

Par électrolyse de l’eau, le coût dépend du prix de l’électricité. En partant d’un coût moyen de 65€/ MWh, en s’appuyant sur le des parcs éolien actuellement développés, on atteint un coût de production de 4,6  €/kg d’hydrogène bas carbone.

Enfin, si l’on fait fonctionner un électrolyseur en continu en dehors des heures de pointe avec l’éolien, et en complément l’électricité de base du réseau (nucléaire, hydraulique et solaire), on descend à 4,1€/kg,

Avec un électrolyseur à haut rendement de grande capacité (apport de chaleur gratuite) fonctionnant en continu en-dehors des heures de pointe, les coûts seront encore abaissés

La production d’hydrogène par électrolyse est donc compétitive avec la production par vaporeformage du méthane avec CCUS quand le coût du méthane est de 20 €/MWh, et même avec l’hydrogène gris sans capture du CO2 quand le coût du méthane est de 80 €/MWh.

Conclusion

L’écosystème français autour de l’hydrogène bas carbone existe et offre des perspectives prometteuses pour ce nouveau vecteur énergétique, tant pour des usages industriels, de mobilité ou simplement locaux. Cependant, des défis techniques, logistiques (transport et stockage), et économiques restent à surmonter. De quoi inciter les ingénieurs et les élèves ingénieurs à s’investir dans cette nouvelle technologie.

 

Auteur

Diplômé de l’École Centrale de Lyon en 1976, et de l’IAE en 1983, François Henimann a réalisé l’essentiel de sa carrière dans les groupes EDF et Gaz de France en tant que manager d’entités opérationnelles, responsable ressources humaines, développeur et administrateur des filiales de Gaz de France en Hongrie, puis Directeur Départemental et enfin Directeur National pour l’expertise réseaux d’électricité et raccordement au réseau d’ERDF, devenu ENEDIS.
Depuis 2013, il est consultant indépendant dans le domaine de l’énergie et de l’administration de sociétés.

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Commentaires

2 Commentaires

Gérald LEHALLAIS (ECL 2013)
Il y a 1 an
Bonjour,
Merci pour cet article très intéressant !

Je ne suis pas du tout dans le domaine donc pardonnez mes questions de néophyte, mais j'aurais 2 questions afin d'essayer de comprendre les choses :
- D'après les graphiques, on pré-suppose que la consommation d'énergie finale d'ici 2050 pour les secteurs étudiés va passer de 557 TWh à 321 TWh, soit une baisse globale de l'ordre de 57%. Est-ce réaliste sur ces secteurs d'activité que l'on voit mal régresser dans un avenir proche ?

- Pouvez-vous nous fournir le rendement global de toute la chaîne du dihydrogène ? Il est évoqué le rendement de production de 60-65% par électrolyse, néanmoins il semble qu'il soit également nécessaire de prendre en compte l'énergie nécessaire au stockage (mise sous pression ou liquéfaction) puis le rendement du moteur à hydrogène dans les véhicules (plus faible qu'un moteur électrique sauf erreur).

Dans l'attente de vous lire,
Gérald
François HENIMANN (ECL 1976)
Il y a 1 an
Cher Gérald,

Merci pour votre commentaire et vos questions. La diminution de 42 % de la consommation d'énergie finale à horizon 2050 de ces secteurs Transports-Agriculture-Pêche-Travaux publics se décompose en deux parties dans le scénario présenté :

- Un progrès d'efficacité énergétique obtenu essentiellement par un report de la route vers le rail, pour le transport des marchandises avec une part modale qui passe de 10 à 30 % (la France était à 20 % en 2020, et la Suisse est à 30 %), et de 10 % à 20 % pour le transport voyageurs. Bien entendu cela suppose un investissement structurel massif avec création de nouvelles chaînes logistiques et de hubs : on y est pas encore ... A cela s'ajoutent des progrès d'efficacité énergétique obtenus par des reports vers le vélo et la marche à pieds, le développement du covoiturage, du télétravail et téléréunions. Au total, dans ce scénario qui prévoit une légère progression en volume des transports (5 %), le besoin en carburants (avant décarbonation) passe de 547 TWh (dont 37 TWh de biocarburants déjà existants) à 459 TWh, dont 422 TWh de carburants pétroliers : cela correspond à une économie de 16 % en volume liée à des modifications structurelles d'organisation de l'offre de transport et de comportements, même si la route reste largement majoritaire. En contrepartie, la consommation d'électricité pour le ferroviaire passe de 10 TWh à 26 TWh.
Evidemment, si le développement du ferroviaire ne se produit pas à ce niveau, il faudra remplacer quelques dizaines de TWh de pétrole supplémentaires...

- La décarbonation, c'est-à-dire le remplacement des 422 TWh de carburants fossiles s'opère de la façon suivante dans ce scénario :

- transfert des trajets quotidiens voyageurs des Véhicules Légers vers l'électricité à batterie (VE ou hybrides), et marginalement vers le bioéthanol, soit 80 % des km : cela représente 70 TWh d'électricité de recharge des batteries, remplaçant 219 TWh de carburants pétroliers (20 kWh de charge pour 100 km remplacent 6,3 litres de carburant).
- transfert des trajets longue distance et de l'utilisation intensive des VL et utilitaires, ainsi que d'une partie des transports lourds (dont trains diesels) et maritimes vers l'hydrogène bas-carbone, basé sur l'utilisation de pile à combustibles dans le scénario : 2,1 Mtonnes H2 produits par 115 TWh d'électricité se substituent à 130 TWh de carburants pétroliers (1 kg H2 remplace 6,3 litres de carburant)
- 73 TWh de carburants pétroliers (essentiellement transports lourds, maritimes, engins agricoles et TP, bateaux de pêche) sont remplacés par des biocarburants et du biométhane bio-GNL), au-delà des 37 TWh de biocarburants déjà employés sous forme de mélange à 7 ou 10 %.

En ce qui concerne la deuxième question, je ne connais pas le rendement de la chaîne hydrogène utilisé en combustion directe, ou via des carburants de synthèse produits avec recombination avec du CO2, mais j'ai voulu laisser toute leur place aux développements en cours dans la présentation.

Le scénario est bâti sur une chaîne electricité => H2 => électricité
En ce qui concerne la comparaison avec le pétrole, sans tenir compte de la logistique de transport raffinage et stockage des carburants pétroliers, ni de la chaîne logistique stockage et transport de l'hydrogène (qui pour la mobilité devrait pouvoir être produit de façon décentralisée notamment au niveau des parcs éoliens), on a les équivalences suivantes : 63 kWh de carburant (6,3 litres) correspondent à 18 kWh d'énergie électrique à la roue : soit 20 kWh stockés dans une batterie et/ou produits dans une pile à combustible par 1 kg H2 (soit 34 kWh de contenu énergétique, rendement de la pile à combustible 53 %)
In fine, avec 55 kWh d'électricité on produit 1 kg H2 (rendement 62 % électrolyse), soit 34 kWh de contenu énergétique, et ensuite 18 kWh d'électricité utilisable in board, soit un rendement global de l'ordre de 33 %. On peut espérer des progrès de rendement sur cette chaîne, par exemple avec l'électrolyse haute température.

Globalement, j'ai repris dans l'article des évaluations globales de 30 % d'efficacité pour l'hydrogène versus 80 % pour l'électricité directe "de la source d'électricité à la roue".

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