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06 septembre 2021

Agri.Builders, la chrysalide d’un Projet d'Études devenu Startup

Agri.Builders fait partie des candidats au Startup Challenge, dont la finale se tiendra en octobre prochain. L’occasion pour Antoine Boudon et ses deux acolytes, Antoine Duchemin et Alexis Trubert – tous les 3 bientôt diplômés de l’École Centrale de Lyon promotion 2017 – de montrer le chemin parcouru depuis leur première participation deux ans plus tôt. Une nouvelle étape dans la chrysalide de ce Projet d’Études devenu aujourd’hui startup, qui ne demande qu’à prendre son envol.


Bonjour Antoine. Racontez-nous ce qu’il s’est passé depuis la publication dans Technica en janvier 2019 de l'article sur le Projet d'Études Pherodrone.

Lors de la publication du premier article sur le PE Pherodrone, le projet était porté par une certaine émulation qui entourait ses premiers pas, que ce soit avec le succès au concours Francis Lebœuf (premier prix, meilleur projet d’études 2017-2018) ou l’attribution de la subvention Les Centraliens ont du Talent ! de l’ACL.

Au cours de l’année 2019, nous avons débattu du potentiel économique de la création d’une startup à partir de ce que nous avions créé et une partie de l’équipe du Projet d'Études puis du Projet d'Application Pherodrone a choisi de s’engager à long terme dans le développement d’une entreprise, objectif atteint avec le dépôt des statuts d’Agri.Builders SAS au printemps 2021.

Notre année de césure puis le Parcours Entrepreneuriat en quatrième année nous ont permis de gagner de nouvelles compétences, d’améliorer la technologie Pherodrone et de la tester sur le terrain et enfin, de lever des fonds via des concours et subventions. 2021 marque notre première année de commercialisation et déjà 27 clients, agriculteurs indépendants, coopératives agricoles et organismes de recherche ont fait appel à nos services.

 

Quels avantages vos clients trouvent-ils aujourd’hui dans la solution que vous leur proposez ?

Pour rappel, nous proposons une prestation de traitement par drone en confusion sexuelle, généralement facturée à l’hectare, qui consiste à déposer des colliers diffuseurs de phéromones Ginko Ring sur des parcelles de verger, à raison de 100 diffuseurs par hectare. Notre principal marché est la culture de noyers et châtaigniers car ce sont des arbres hauts, ce qui rend la pose manuelle difficile.

Au premier abord, Pherodrone représente un surcoût conséquent par rapport à la pose manuelle des diffuseurs de phéromones, qui se fait généralement avec des perches ou élévateurs motorisés à nacelle. Ce surcoût est largement compensé par la simplicité de la pose par drone (1 ha traité en 1 h max, contre au moins 2 h et parfois plus de 10 h pour la pose manuelle) et la capacité à atteindre le sommet de l’arbre quelle que soit sa hauteur et les caractéristiques de la parcelle (espacement des arbres, pente, encombrement du sol…). Le drone est capable de monter bien plus haut que toutes les autres solutions de pose, et garantit une efficacité supérieure car les phéromones sont émises vers le bas et ne protègent pas la partie de l’arbre située au-dessus du point de pose.

D’autres méthodes de traitement existent en-dehors de la confusion sexuelle. Par exemple, beaucoup d’agriculteurs utilisent des pesticides (certains produits sont certifiés pour une utilisation en agriculture biologique), avec un nombre élevé d’inconvénients notamment une forte pression des populations voisines et l’obligation de faire plusieurs traitements par an, contre un seul en confusion sexuelle. De nouvelles solutions arrivent chaque année sur le marché car la demande est  très forte, et aucune ne s’est imposée pour l’instant, loin de là.

 

 

Vous êtes passé d’un Projet d’Études à la création d’une startup. À quel moment avez-vous décidé de vous lancer ?

L’acquisition progressive de nouvelles compétences s’est faite naturellement et, en prenant du recul, nous savons aujourd’hui faire énormément de choses qui nous auraient parues impossibles sans formation dédiée il y a quelques années. Le principal moteur de notre développement est l’enthousiasme constant de nos partenaires qui travaillent sur le terrain et que nous retrouvons chaque année pour des essais, démonstrations, prestations… Les prototypes marchent mieux d’une année sur l’autre, les essais deviennent des prestations rémunérées et la création d’une société a fini par s’imposer pour continuer à grandir. Durant notre Parcours Entrepreneuriat à l’École Centrale de Lyon, nous avons étudié le potentiel économique du projet et constaté que nous ne prenions pas de risque majeur en lançant la commercialisation de Pherodrone au stade où nous en étions.

En 2019, quand s’était posée la question de continuer à monter une startup ou de partir travailler dans les domaines que nous avions initialement envisagés (par exemple le ferroviaire pour ma part), nous avons privilégié la liberté de travailler sur un projet unique au monde qui nous motive au quotidien, avec des activités et un emploi du temps que nous organisons comme nous le souhaitons. Une équipe soudée, des collègues que nous avons en quelque sorte choisis, ce sont là tous les avantages de l’entrepreneuriat !

 

Qu’est-ce que ça change concrètement d’être une startup et non plus seulement un Projet d’Études ?

En transformant son projet en startup, on se fixe des objectifs beaucoup plus ambitieux qu’auparavant. L’échéance n’est plus une soutenance ou le rendu d’un livrable, mais la pérennité de la société à un horizon aussi lointain qu’on le souhaite. À court terme, les jalons techniques restent les mêmes, mais l’organisation est différente car on peut désormais consacrer autant de temps qu’on le désire au projet en sachant que tout le travail accompli aura son utilité à l’avenir.

C’est une bonne façon également de prendre notre indépendance par rapport à l’École et son cadre académique. En lançant une startup, une des priorités est de s’entourer d’un cercle de contacts compétents et dignes de confiance pour prendre les bonnes décisions, que l’on va chercher dans des milieux aussi variés que possible. Bien sûr, les tuteurs et professeurs de l’École Centrale de Lyon font partie de ce réseau !

 

Que représente le Startup Challenge, auquel vous participez en octobre prochain ? Comment préparez-vous ce genre d'événement ?

C’est notre deuxième participation au Startup Challenge, nous avions remporté le troisième prix du concours à Montréal en 2019. Nous avons hâte de retrouver le jury et lui montrer à quel point nous avons progressé en deux ans. Nous nous étions en effet présentés avec un projet déjà bien avancé, mais dont nous n’avions pas su mettre en valeur le potentiel économique car nous avions un point de vue d’ingénieur, très technique.

Cette année, nous arrivons avec des preuves de succès commercial (clients, chiffre d’affaires, retours d’expérience) et un potentiel économique prometteur pour les prochaines années. Nous espérons mettre à profit tout ce que nous avons appris au cours de notre Parcours Entrepreneuriat de dernière année pour prouver qu’Agri.Builders a toutes ses chances pour faire fructifier un investissement dès 2021.

Pour préparer un tel événement, nous travaillons notre pitch en essayant de l’adapter au maximum au jury devant lequel nous nous présentons. Alternativement, nous devons mettre en avant le caractère innovant de notre projet, son impact social et environnemental, son potentiel économique, son intérêt pour l’agriculture d’aujourd’hui, etc.

 


Vous êtes habitués à participer aux concours avec Agri.Builders. Hormis des financements potentiels, quels sont les bénéfices que vous en espérez en général ?

Les concours, en plus d’être des moyens de gagner un peu d’argent pour faire vivre un projet pendant quelques mois, sont surtout des événements ! Et c’est lors d’événements tels que des salons ou concours que nous faisons souvent les rencontres les plus intéressantes. Beaucoup de nos partenaires actuels ont entendu parler de nous pour la première fois à l’occasion de la publication d’un article sur nos activités, de notre présence en finale d’un concours où ils intervenaient en tant que partenaire ou membre du jury, etc. On constate même un effet cascade où certaines personnes nous recommandent de tenter un concours dont nous n’avions pas entendu parler au cours d’un événement lié à un autre concours.

Nous croisons parfois aussi nos concurrents, et dans l’ensemble tous les événements rassemblant des acteurs du monde agricole et/ou entrepreneurial nous permettent de mieux nous faire connaître, d’échanger avec des personnes qui ont entendu parler de nous et de découvrir d’incroyables opportunités que nous ne manquons pas de creuser par la suite.

Sur le plan pratique, les récompenses de concours ont un intérêt énorme par rapport à toutes les autres sources de financement : ce sont des cadeaux, généralement offerts sans contrepartie contraignante, avec pour seul rôle de nous inciter à aller de l’avant et tenter des choses que nous ne pourrions par faire sur nos fonds personnels. Les concours nous permettent de garder la liberté d’évoluer comme nous le souhaitons tout en étant soutenus par une multitude d’organismes qui nous font confiance, ayant été convaincus par le travail que nous leur avons présenté sous la forme d’un dossier de candidature et d’un passage devant un jury.

 

Quelles sont les rencontres, les personnes importantes dans l'évolution d'Agri.Builders ?

Très tôt, nous avons tissé des liens forts avec la SENURA, le CTIFL, Sumi Agro France et Groupama Rhône-Alpes-Auvergne, qui sont toujours aussi importants aujourd’hui. Les partenariats les plus solides sont ceux qui bénéficient à chacune des parties prenantes, et c’est le cas ici.

La SENURA et le CTIFL sont des organismes de recherche qui sont capables de nous mettre en relation avec des agriculteurs intéressés par nos activités, mais qui ont aussi besoin des innovations que nous proposons pour mener leurs études plus facilement. De ces besoins résultent de beaux projets de recherche où Agri.Builders fournit une solution technique, qui est ensuite évaluée dans le cadre d’essais sur des parcelles de cultures mises à disposition par des agriculteurs partenaires. À la fin, nous disposons de résultats expérimentaux pour étayer nos arguments commerciaux et améliorer notre technologie et nos partenaires peuvent faire appel à nous pour mener des études plus simplement que s’ils devaient tout faire à la main.

Sumi Agro France est le distributeur des colliers diffuseurs de phéromones que nous déposons par drone à la cime des arbres. Notre innovation dépend de la technologie qu’ils proposent à la vente, et notre développement leur bénéficie aussi car notre service est un argument fort en faveur de la confusion sexuelle avec ce type de produit.

Groupama Rhône-Alpes Auvergne, par la personne de Philippe Vayssac, est à l’origine du Projet d'Études Pherodrone proposé en 2017 à l’École Centrale de Lyon. En 2021, nous continuons de travailler au quotidien avec les startups créées et hébergées par Groupama, qui nous met à disposition ses locaux et nous donne l’opportunité de participer à des événements auxquels nous n’aurions ni les moyens, ni la visibilité suffisante pour prétendre y assister.


Les financements sont des leviers importants dans la vie d’une startup. Quelles sont leurs origines et comment les investissez-vous dans votre activité (R&D, communication...) ?

En-dehors du chiffre d’affaires de la société, on peut diviser nos sources de financement en quatre catégories différentes.

Premièrement, les concours bien sûr ! Nous avons remporté cinq prix depuis la création d’Agri.Builders, et les récompenses financières associées nous ont permis d’acheter nos premiers matériels (drone, matériaux, outillage).

Deuxièmement, les bourses et subventions qui ne font pas à proprement parler l’objet d’un concours, mais plutôt d’une demande via un dispositif de candidature. On y trouve par exemple la bourse French Tech que nous espérons remporter cette année, ou la subvention de l’ACL que nous avons remportée en 2019 via le dispositif Les Centraliens ont du Talent ! Il arrive aussi que nos partenaires financent directement l’achat de matériel, ce qui revient à nous apporter un peu de financement.

Ensuite, on trouve les projets de recherche que j’évoquais auparavant. Ces projets se déroulent sous la forme d’une prestation payée à la société Agri.Builders, pouvant comporter plusieurs volets chiffrés (travaux de R&D, essais sur le terrain, etc). Pour le coup, il s’agit d’une source de financement avec contrepartie car nous nous engageons à fournir des résultats expérimentaux, mais nous restons libres de définir précisément notre cahier des charges pour y parvenir et de réutiliser la technologie que nous avons créée dans un cadre plus vaste que des études scientifiques.

Enfin, il y a l’argent que nous apportons personnellement à la société. Lorsque nous avons déposé le capital de la société Agri.Builders SAS, nous avons donné à l’entreprise une somme conséquente d’argent qui est aussi un gage de la volonté que nous avons de faire grandir et réussir notre projet. Plus la société sera prospère, plus les parts de capital que nous possédons prendront de la valeur.

De manière générale, l’essentiel de nos dépenses va à l’achat de matériel et à tous les frais liés au prototypage : fabrication de composants par des prestataires, impression 3D, licences logicielles, outillage d’atelier, réalisation d’essais sur le terrain, etc. Cette année, nous avons réalisé un chiffre d’affaires conséquent pour un lancement d’activité, grâce auquel nous pouvons financer une bonne partie des frais de fonctionnement de la société (charges administratives en tous genres, expertise comptable, frais de communication, etc).

 

Vous êtes aujourd’hui trois collaborateurs dans Agri.Builders. Comment vous répartissez-vous les rôles et vous seriez-vous lancé en solo ?

Je ne me serais jamais lancé en solo. Pour faire avancer un projet aussi complexe et ambitieux qu’Agri.Builders, une équipe de plusieurs personnes apparaît indispensable. Les opinions de chacun peuvent différer et permettent de prendre du recul avant toute décision, ce qui s’est avéré utile à de nombreuses reprises. Et même à trois, nous restons une petite équipe et avons souvent besoin de l’avis de nos contacts pour nous assurer de partir dans la bonne voie, bien que les objectifs à long terme de l’entreprise soient notre propre choix.

Chez Agri.Builders, je travaille sur tous les aspects relationnels : communication avec nos clients et partenaires, recherche de financements, prospection commerciale, mise en réseau, marketing et design, réseaux sociaux et web… Antoine et Alexis passent plus de temps sur l’énorme partie technique de notre projet : design des prototypes, fabrication et assemblage des pièces, tests, programmation, électronique…

 

On entend souvent dire que diriger c’est prévoir. Quelles sont selon vous les prochaines grandes étapes dans la croissance d'Agri.Builders ?

En 2022, nous emploierons pour la première fois des pilotes de drone pour assurer les prestations de traitement agricole Pherodrone en sous-traitance. Cela implique une importante organisation logistique pour que tout se déroule dans de bonnes conditions et dans les temps. Nous espérons augmenter notre volume d’affaires de manière significative chaque année pour arriver à un rythme de croisière autour de 2025.

D’ici là, nous aurons lancé plusieurs nouveaux produits que nous développons actuellement, et qui répondent à des problématiques similaires du le monde agricole, avec l’objectif de simplifier le quotidien des agriculteurs en les aidant à réduire leur consommation de pesticides. Nous aurons aussi commencé à distribuer le système Pherodrone à l’international, car nous avons déjà reçu des demandes de la part de plusieurs pays d’Europe et même sur d’autres continents !

Quoi qu’il en soit, nous resterons une entreprise lyonnaise et continuerons de développer nos solutions au cœur de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui est à la fois un immense bassin de production agricole en pleine transition et un vivier de sociétés innovantes et dynamiques, de quoi envisager de belles opportunités pour les prochaines années !

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