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27 mars 2023

Étienne Voillequin (ECL2005) : Quelles conséquences de l’électrification sur le design automobile ?

Étienne Voillequin (ECL2005) est design project manager chez Alpine Cars. Il revient pour Technica sur l’impact du passage à l’électrique sur le design des voitures de la marque.

 
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Lorsque j’ai débuté ma vie professionnelle à la fin des années 2000, la voiture du futur animait déjà les discussions. Comme depuis toujours me direz-vous, sauf qu’elle n’était pas vouée à être volante, ni frugale, mais… électrique. Et dans les couloirs de Strate, (école française réputée dans le design transports), les idées fusaient quant à l’influence de cette révolution technologique sur le design de ces véhicules et sur le champs de créativité et de liberté qui en découlerait pour les designers. Il semblerait que le futur nous ait rattrapés comme en témoigne la surface croissante de ces modèles électriques dans les ateliers de design des constructeurs automobiles.

Afin de cadrer le débat, nous nous intéresserons aux voitures électriques conduites par des humains (non autonomes donc !) qui souhaitent parcourir plus de 200km sans faire le plein d’énergie, avec maximum 4 personnes et quelques bagages, et ce, en sécurité à 90km/h minimum (ce que leur impose de toutes façons la législation européenne).
On entend souvent que 70% d’un bon design réside dans de bonnes proportions (ce chiffre pouvant varier d’un directeur de design à l’autre). Il s’agit de la position des grandes masses, des éléments les plus « dimensionnants » : les occupants, les roues, le moteur, les bagages, le réservoir ou la batterie. Le passage à l’électrique modifie-t-il de manière sensible la taille ou la position de ces éléments ?

La position des occupants

Les occupants doivent être assis confortablement, accéder aux commandes facilement, voir la route et l’environnement dans la limite des réglages prévus et conserver une certaine liberté de mouvement, et ce, dans la plus grande diversité de morphologie possible (que l’on décrit en général des 5% de femmes les plus petites jusqu’aux 5% des hommes les plus grands). Bien sûr, ils doivent pouvoir entrer et sortir de la voiture sans trop de difficulté ou de gène. Tous ces critères sont à modérer en fonction des marques, du typage de voiture et de la clientèle visée. Un client d’Alpine A110 sera plus enclin à accepter quelques contorsions pour accéder au poste de pilotage qu’un client senior, au mal de dos chronique et insensible à la passion automobile, qui lui, recherchera plutôt une voiture plus haute, ou au moins à sa hauteur.

Toutes ces contraintes imposent de placer les occupants grosso modo entre les roues, en deux rangs de 2 ou 3 personnes, afin de pouvoir positionner quelques dizaines de centimètres de protection devant eux (de la structure absorbant de l’énergie et des éléments techniques), des portes sur leurs côtés, qui elles aussi contiennent des renforts et des éléments de sécurité. Jusqu’ici, pas de révolution par rapport aux véhicules thermiques.

Alpine Alpenglow Concept Car

La position du moteur et de la batterie

Une fois cela positionné, on peut placer le moteur et un réservoir d’énergie. C’est ce couple moteur/réservoir d’énergie qui marque la principale différence en termes de design, entre une voiture électrique et une voiture thermique. En volume, car c’est cela qui compte dans l’architecture automobile, on estime qu’en divisant par deux l’autonomie d’un même véhicule, on devra doubler la taille dédiée à la fonction stockage d’énergie. Les constructeurs estiment un passage de 800km d’autonomie à environ 400km pour une routière, comme étant un compromis acceptable pour le client.

En ce qui concerne le moteur, il est sensiblement plus petit mais on reste dans le même ordre de grandeur, si l’on exclue les moteurs roues qui ne semblent pas adaptés à ce jour pour retrouver les prestations que nous connaissons en dynamique véhicule, car ils augmentent de manière importante les masses non suspendues. En incluant les accessoires du moteur (partie commande électrotechnique, par exemple) et les autres organes mécaniques (climatisation, lave glace, liquide de frein), l’espace libéré dans la zone du moteur permet d’inclure un coffre d’appoint, mais on est bien loin de la plateforme « skateboard », qui intégrait tous les éléments techniques dans le plancher, imaginée par General Motors au temps lointain que j’évoquais en début d’article.

Nous pouvons à la lueur des deux précédents paragraphes apporter une conclusion partielle sur l’influence de l’électrification sur les proportions de nos voitures (et donc de leur design) : elle est réelle, puisqu’il va falloir placer l’équivalent d’un deuxième réservoir d’essence, sans bouleverser le reste (habitabilité, sécurité, performances… ). Sachant que chaque centimètre compte dans la perception d’une belle voiture, ajouter 50L de volume dans un véhicule n’est pas une mince affaire !

Un design adapté pour libérer de la place pour la batterie

La réponse la plus répandue est d’utiliser le plancher pour stocker les batteries et donc de remonter les occupants, ce qui implique d’aller vers une voiture plus haute. D’un point de vue du design, afin de rendre cela conforme aux codes attendus du marché, le plus simple est de mettre de grosses roues, quelques protections latérales cosmétiques et d’appeler cela "Crossover", ou "SUV" (l’alternative monospace étant quelque peu discréditée sur le marché actuel)! Il existe évidemment d’autres réponses qui peuvent souvent amener à déplacer les roues en les écartant dans le sens de la longueur, ou en dégageant de l’espace pour remettre les « pieds au plancher » - vous me pardonnerez la métaphore. Mais cela amène alors de grands empattements (distance entre roues) et donc à une voiture plus longue, plus encombrante, qui peut nous éloigner de la cible de départ. Un client d’Alpine A110 ne veut pas forcément acheter une BMW Série 6 pour retrouver la même autonomie.

Alpine A110 E-ternité Concept Car

Une ligne et une magie à préserver

Une fois ces 70% de proportions abordés, il reste 30% de sculptures, d’animations, de graphismes, de couleurs et de matières. Parmi les contraintes évoluant avec l’électrification, on s’attendait à pouvoir dessiner des faces avant plus fermées, en supprimant la contraintes des besoins en air du moteur thermique. Dans la pratique, ces besoins sont assez semblables dans les deux cas : on a besoin d’un radiateur et donc d’une entrée d’air pour refroidir les batteries, que l’on va placer logiquement dans le compartiment moteur. Ce qui ne révolutionne donc pas l’avant d’un véhicule, d’autant qu’on aura toujours besoin de phares qui structurent le dessin d’une face avant avec l’entrée d’air.

Plus intéressant pour un constructeur comme Alpine, dans le cas des voitures sportives : l’échappement. Longtemps, un « pot » marquait la sportivité, par sa sonorité, sa présence, sa mise en scène dans la face arrière ou latérale d’une voiture. On peut citer les pots latéraux d’une AC Cobra, la triple sortie centrale d’une Ferrari F40 ou la mise en scène extrême d’une Pagani Zonda. Dans ce cas, il est certain qu’il faudra s’en passer, comme il faudra se passer du design sonore, travaillé ou non, d’un turbo, d’un V12, ou d’un flat-4. Ou en récréer un de synthèse (jolie manière de dire « fake »).

Autonomie et aérodynamisme : le design comme solution

On pourrait croire que le passage à l’électrique n’impose finalement que peu de contraintes aux designers automobiles. A un détail près : l’autonomie des véhicules.
Cette problématique, qui reste un enjeu majeur tant que les infrastructures, le temps de charge ou le besoin ressenti des clients n’ont pas évolué, impose aux designers automobiles de repenser l’aérodynamisme des voitures électriques en optimisant le S.Cx et en jouant sur l’un, l’autre, ou les deux paramètres. Les objectifs de l’ingénierie au départ d’un projet deviennent ainsi encore plus contraignants concernant le design.Intégrer l’électrification à l’ADN de la marque

Pour une marque automobile comme Alpine, le passage à l’électrique est un événement important de son histoire, qui doit à la fois être une rupture tout en s’inscrivant dans la continuité de son identité et de la relation qu’elle entretient avec ses clients actuels ou futurs. Ces derniers veulent-ils être rassurés, retrouver les marqueurs de l’Alpine qu’ils connaissent ? ou souhaitent-ils conduire une soucoupe volante technologique du 3e millénaire ? Est-ce cohérent avec l’image de notre marque et ce que nous souhaitons faire dans ce bouleversement technologique ? Aussi, le designer doit-il être à la fois le garant de l’ADN de la marque, des attentes de ses utilisateurs, tout en intégrant les contraintes dictées par cette nouvelle technologie.

Au-delà d’Alpine, on voit que, déjà, les réponses apportées sur le marché diffèrent car il s’agit de choix artistiques, de marque, de marketing. D’une Tesla S au style lisse et aéro, à une Fiat 500 ou une Hyundai Ioniq 3 au style néo-retro, les interprétations sont multiples.

En voyant plus loin, même s’il est difficile de le percevoir aujourd’hui, ce changement technologique amènera des évolutions stylistiques nécessaires qui seront digérées, intégrées, réinterprétées et probablement un jour revendiquées comme marqueurs des codes de l’automobile, électrique ou pas. Comme un aileron et des prises d’air indiquent la sportivité d’un modèle, comme un long capot indique la puissance, comme des arches de roue rapportées amènent de la robustesse. Ce qui nous semble moche ou déstabilisant aujourd’hui sera peut-être au centre du design dans quelques années.

Auteur

Diplômé de Centrale Lyon en 2005 et titulaire d’un Master à Strate – École de Design en 2006, mais avant tout passionné par l’automobile, j’ai fait toute ma carrière dans le groupe Renault, en commençant à l’ingénierie (Direction de l’architecture) avant de passer au design en 2016, puis chez Alpine en 2021.

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