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10 mai 2019

La réforme du régime fiscal des brevets, une opportunité pour les sociétés françaises

Les redevances tirées de l’exploitation des brevets et autres droits de propriété industrielle bénéficient d’un taux réduit de taxation, encourageant l’innovation des entreprises françaises. Encore faut-il que les dépenses de recherche et développement soient engagées en amont sur le territoire français selon les prescriptions de l’OCDE. Et que les redevances perçues correspondent bien à des technologies couvertes par des droits de Propriété Intellectuelle (PI) éligibles.


Les prescriptions de l’OCDE et de l’UE

La France qui, depuis plusieurs décennies, a mis en place un régime fiscal avantageux pour les revenus provenant de l’exploitation des brevets et autres droits assimilés, a dû revoir le régime fiscal applicable aux brevets pour prendre en compte les prescriptions de l’OCDE.

Afin de lutter contre les pratiques fiscales dommageables, consistant à dissocier le territoire d’exploitation des droits de propriété industrielle, afin de profiter d’un régime d’imposition favorable du territoire dans lequel les dépenses de recherche et développement sont engagées, l’OCDE, puis l’Union Européenne ont imposé à chaque Etat de conditionner l’avantage fiscal octroyé aux entreprises imposables sur un état, à la réalisation des dépenses de R&D sur le territoire même de cet état.

Ce lien ou « nexus » repose sur l’idée que l’avantage fiscal auquel peut prétendre une entreprise sur les bénéfices qu’elle tire de l’exploitation d’un actif incorporel sur un territoire de l’Union Européenne doit être corrélé avec les dépenses qu’elle a engagées en amont sur ce même territoire pour développer cet actif : un rapport ou « ratio nexus » est ainsi calculé pour pondérer les bénéfices qui pourraient bénéficier du régime fiscal de faveur.

Le ratio nexus prend en compte, au numérateur, les dépenses engagées par l’entreprise sur le territoire national, et éventuellement par des entreprises non liées (sans lien de dépendance économique), pour la création et le développement de l’actif incorporel, et, au dénominateur, la totalité des dépenses de recherche et développement, incluant ainsi les dépenses engagées par des entreprises liées (filiales par exemple) sur le territoire national ou à l’étranger.

Le résultat net imposable, calculé par la différence entre les revenus acquis, par concession de licence ou cession d’un actif par exemple, au cours d’un exercice par l’entreprise et les dépenses de R&D qui se rattachent à cet actif au cours de ce même exercice, est alors pondéré par le ratio nexus pour la détermination du résultat net imposé selon le taux réduit (fixé à 10% en France par la Loi de finance 2019).

Le bénéfice de ce régime d’imposition de faveur est ainsi d’autant plus important que l’entreprise (ou groupe fiscal d’entreprises) qui tire les revenus de l’exploitation de ses actifs est également celle qui détient les services de R&D.

Pour bénéficier de ce régime d’imposition favorable, un flux de redevances (de cession ou de concession de licence) doit exister entre la société qui détient les droits de Propriété Intellectuelle et une société qui utilise ces droits de PI.

Mais ce flux de redevances doit lui-même correspondre à l’exploitation réelle de droits de PI mis en œuvre dans les technologies licenciées.

 

Les technologies couvertes par des droits de PI éligibles

La loi de finance 2019 a modifié le champ des droits de PI dont les revenus tirés de l’exploitation par la concession d’une licence ou la cession peuvent être soumis à une imposition séparée (à un taux réduit de 10% au lieu de 28% en 2019).

Ainsi, outre les brevets, les certificats d’utilité (titre analogue à un brevet, mais délivré par l’Institut National de la Propriété Industrielle - INPI sans examen et dont la durée de vie vient d’être portée à 10 ans (au lieu de 6 ans) par la loi Pacte) et les certificats complémentaires de protection (titre qui prolonge la vie d’un brevet au-delà de 20 ans dans le domaine des médicaments qui nécessitent l’obtention d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) pour leur exploitation) sont à présent visés dans les titres de PI éligibles.

Par ailleurs, les logiciels protégés par le droit d’auteur ont également été ajoutés aux titres de PI permettant de bénéficier d’un régime d’imposition de faveur sur les produits tirés de leur exploitation. Une telle mesure s’imposait dans le monde des nouvelles technologies et l’explosion des inventions mises en œuvre par ordinateur dans le domaine de l’intelligence artificielle, des applications mobiles, des objets connectés…

En revanche, la possibilité de bénéficier de ce régime d’imposition favorable pour les inventions brevetables (et donc non couvertes par le dépôt d’un brevet devant l’INPI) a été restreint tant dans sa mise en œuvre que pour les sociétés concernées :

Ainsi ce « titre de PI » ne peut être éligible que pour les entreprises dont le chiffre d’affaire n’excède pas 50 Millions d’Euros et les revenus tirés de l’exploitation des droits de PI éligibles ne dépassent pas 7,5 millions d’Euros par an (en moyenne sur les cinq derniers exercices).

En outre, pour pouvoir bénéficier du régime de faveur sur ces inventions brevetables, il est nécessaire à présent que leur brevetabilité soit certifiée par l’INPI : les conditions d’obtention d’un tel certificat ne sont pas encore connues et feront l’objet d’un décret d’application, mais on peut penser qu’elles seront proches de celles mises en œuvre par l’INPI pour la délivrance d’un brevet : rédaction d’un texte, accompagné éventuellement de dessins et de schémas, permettant de comprendre l’invention et de revendications définissant l’invention, dépôt de ce document à l’INPI et appréciation par l’INPI des critères de brevetabilité (nouveauté, application industrielle et activité inventive) pour délivrer le certificat de brevetabilité à des fins fiscales.

Aussi, à moins d’avoir une raison particulière de souhaiter conserver secrète l’invention, le dépôt d’une demande de brevet reste-t-il probablement la meilleure manière d’allier protection de sa recherche et développement et avantage fiscal.

 

En conclusion, on retiendra que la Loi de finance 2019 est plus restrictive pour l’octroi du régime d’imposition de faveur, nécessitant de corréler sur un même territoire les coûts de recherche et les revenus tirés de la PI, mais plus large pour les titres de PI ouvrant droit à ce régime d’imposition de faveur, incluant ainsi les logiciels protégés par le droit d’auteur, et pour les PME, les inventions dont la brevetabilité a été certifiée par l’INPI.

Le taux réduit d’imposition, de 10%, même s’il n’est pas le plus bas d’Europe (par exemple 6,25 % en Irlande) devrait ainsi inciter les groupes français à conserver leurs droits de PI au sein d’entités juridiques françaises.

 

Auteur

Conseil en Propriété Industrielle et Mandataire agréée près l’Office Européen des Brevets, Hélène STANKOFF est associée du Cabinet SANTARELLI à Paris où elle conseille les entreprises et start-ups en matière de brevets et accompagne les investisseurs par la conduite d’audits PI et Due Diligence. Voir les 7 autres publications de l'autrice

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