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08 janvier 2024

Héloïse Albot (ECL2017) : rencontre avec une doctorante en algorithmes quantiques

Héloïse Albot (ECL2017) effectue actuellement un doctorat en physique quantique dans la prestigieuse Université Louis-et-Maximilien de Munich, qui a formé pas moins de 34 lauréats du prix Nobel. Si elle n’en est pas encore à viser une telle récompense, Héloïse mène avec passion sa thèse sur les Algorithmes quantiques permettant la simulation de l'évolution temporelle de systèmes quantiques à plusieurs corps. Sujet qui devrait vous être nettement moins nébuleux après la lecture de l’entretien qu’elle a accepté de nous accorder.


Bonjour Héloïse. Peux-tu nous décrire en quoi consiste ta thèse et quels sont ses principaux objectifs ?

Mes recherches portent sur la préparation d'états quantiques sur les ordinateurs quantiques. Un algorithme quantique consiste en un ensemble d’opérations appliqué à un registre de qubits. Si l’on veut appliquer l’ensemble d’opérations sur un registre dans un état initial précis, il est nécessaire de préparer le registre dans cet état initial. Mes recherches tentent de répondre à la question : « Comment initialiser le registre de qubits efficacement ? ».

Est-ce que l’on peut dire que les qubits sont aux algorithmes quantiques, ce que les bits sont à l’informatique classique ? En quoi se distinguent-ils ?


Fondamentalement, les algorithmes quantiques et les algorithmes classiques ne réalisent pas les mêmes calculs. Là où l’on utilise des bits en informatique « classique » pour coder l’information, on utilise effectivement des « qubits » en informatique quantique. Ces derniers obéissent aux lois de la physique quantique. Un qubit peut être dans un état de superposition de 0 et 1 alors qu’un bit ne peut être que 0 ou 1, mais pas les deux à la fois. De même, l’intrication quantique est possible entre les qubits, mais impossible entre les bits. L’intrication quantique est le fait que les états de deux particules quantiques puissent être liés peu importe la distance qui les sépare. Le principe de superposition confère à l’informatique quantique un potentiel énorme pour certains calculs. En effet, là où l’informatique classique traite un calcul à la fois, l’informatique quantique est capable de traiter les calculs « en parallèle ».

Comment t’es-tu intéressée à l’informatique quantique?

J’ai toujours été attirée par les mathématiques et la physique. A Centrale, j’ai eu la chance de suivre le cours de mécanique quantique de Madame Ségolène Callard. Ce fut un déclic. J’ai commencé à faire des recherches de mon côté sur les ordinateurs quantiques. En deuxième année, j’ai eu l’opportunité de co-construire un projet d’application de recherche (PAr) sur la cryptographie quantique, avec un camarade de classe et l’accompagnement d’un tuteur. Ce projet m’a décidée à candidater pour le double diplôme « Quantum Technology » à KTH (Royal Institute of Technology à Stockholm en Suède) avec l’idée d’ajouter une spécialisation dans les technologies quantiques à ma formation d’ingénieur généraliste centralienne.

Le choix du doctorat était-il depuis longtemps une évidence pour toi et pourquoi le choix d’effectuer ta thèse ensuite en Allemagne?

L’idée de faire un doctorat a germé au fur et à mesure que mon intérêt grandissait pour l’informatique quantique. J’étais curieuse d’approfondir mes connaissances et de participer à la recherche sur ce sujet plein de promesses.

 

Quant au choix du pays pour mon doctorat, j’ai souhaité candidater pour un groupe de recherche et non pour un pays en particulier. J’avais lu durant mon stage de fin d’études un article scientifique écrit par le professeur Ulrich Schollwöck qui m’avait captivée. Je l’ai contacté afin de candidater pour une thèse. Il est depuis mon superviseur de thèse.

En parlant de ta thèse. Quelles sont les applications potentielles de tes recherches ?

Il faut savoir que le succès d'un algorithme quantique dépend de la réussite de trois étapes principales : l’initialisation du registre de qubit, l’application des opérations quantiques (c’est-à-dire les calculs) et l’extraction des données. Notre équipe de recherche se concentre sur une seule de ces sous-tâches, à savoir l’initialisation du registre. Nos travaux s’appliquent donc à tous les algorithmes quantiques dont l’état initial du registre est différent de l’état initialement prévu sur l’ordinateur quantique sur lequel l’algorithme tourne.

Comment se déroulent concrètement tes travaux ?

Nous discutons le projet avec mes superviseurs puis je code la méthode afin de pouvoir faire des simulations et comparer nos résultats avec les méthodes existantes. Mon travail comporte également des calculs analytiques et beaucoup de lectures d’articles scientifiques dans le domaine. Nous avons des réunions chaque semaine afin de discuter de l’avancement du projet et des prochains points à traiter.

Quelles sont les principales avancées que tu as obtenues jusqu'à présent dans le cadre de ta thèse ?

Le principal résultat que nous avons obtenu est une méthode de préparation d’états quantiques pour l’initialisation des algorithmes quantiques. Cette méthode doit permettre de préparer un registre de qubit arbitraire avec un nombre d’opérations fixé. Certains points de la méthode restent à finaliser, mais je pense que nous ne devrions plus tarder à publier un article scientifique sur cette méthode une fois les derniers détails réglés. Plus précisément, il nous reste à quantifier clairement les domaines où notre méthode est plus efficace que les méthodes existantes.

Quels sont les principaux imprévus que tu as rencontrés lors de tes recherches ?

La principale difficulté dans la recherche réside par définition dans l’incertitude des résultats. Par exemple, nous avons passé un an à travailler sur un algorithme dont les résultats n’ont pas été concluants. Le projet visait à trouver un algorithme quantique permettant de simuler efficacement l’évolution temporel de systèmes quantiques complexes, c’est-à-dire de systèmes quantiques composés de plusieurs particules quantiques. Il n’est pas rare en recherche que les projets n’aboutissent pas sur des résultats intéressants, ou que la méthode que l’on voulait implémenter se révèle inefficace ou insatisfaisante. Malheureusement, la communauté scientifique ne publie pas les méthodes qui ne fonctionnent pas même si cela fait également parti de la recherche. Cela pourrait permettre d’éviter que d’autres groupes passent du temps à rechercher dans la même direction, mais cela ne se fait pas.

La recherche est-elle un exercice solitaire ou collectif ?

Il y a des interactions régulières avec mes superviseurs et des interactions plus ponctuelles mais nombreuses également avec les chercheurs d’autres universités. Ces dernières ont lieu lors des conférences ou des universités d’été organisées par les différentes universités et les centres de recherches. Certains projets sont des collaborations entre chercheurs de plusieurs universités, dans ce cas, les rencontres sont plus régulières. Ce fut le cas pour notre projet sur la simulation des systèmes quantiques où nous avions une réunion via Zoom chaque semaine avec un professeur de l’Institut Max Planck de Dresde.

J’ai également rejoint un programme conjoint de formation entre plusieurs universités et centres de recherches de Munich pour leurs élèves en thèse doctorale s’intitulant IMPRS-QST (International Max Planck Research School for Quantum Science and Technology). Il permet aux élèves de participer à des formations communes et encourage les échanges scientifiques entre les membres.

Comment envisages-tu l'avenir de la recherche en algorithmes quantiques et en simulation quantique ?

Le potentiel des ordinateurs quantiques est gigantesque. Malheureusement, il y a un décalage entre les promesses faites par les algorithmes et la réelle implémentation. Les qubits sont sujets à la décohérence et à de nombreuses perturbations extérieures qui entravent les performances des algorithmes. Il faudra donc réduire les erreurs sur les ordinateurs quantiques tout en réduisant les ressources (nombre de qubits utilisés et nombre d’opérations à réaliser) nécessaires pour les algorithmes quantiques. C’est probablement l’un des plus grands défis de l’informatique quantique.

Il existe beaucoup de fantasmes autour des ordinateurs quantiques. Quelles attentes peut-on raisonnablement nourrir ?

On attend des ordinateurs quantiques qu’ils accompagnent et accélèrent les simulations quantiques. Il est en effet difficile de simuler les systèmes quantiques sur les ordinateurs « classiques » en raison de la dimension exponentielle de l’espace des états qui décrit un système quantique. Cette dimension exponentielle s’explique par la propriété de superposition des systèmes quantiques. Les qubits étant eux-mêmes des systèmes quantiques, ils possèdent cette même propriété et peuvent traiter « en parallèle » ces calculs.

Ton doctorat une fois en poche, comment envisages-tu ta carrière professionnelle ?

Je souhaite continuer dans le domaine de l’informatique quantique, que cela soit en université ou en recherche et développement dans une entreprise. Je ne sais pas encore si je vais rester en Allemagne, rentrer en France ou aller dans un autre pays. Tant que le sujet me plaît, bouger ne me dérange pas.

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