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17 juin 2025

FAÇONNER LE REVE • LE CINEASTE A LERE DE LIMAGINAIRE AUGMENTE
LE DOSSIER


FAÇONNER
LE REVE LE CINEASTE A LERE DE LIMAGINAIRE AUGMENTE

 

À l'heure du cinéma 4.0, le métier de réalisateur s'invente à la cro1see de l'art et de la fabrication, entre intuition créative et nouveaux outils de confection des images. Héritier des illusionnistes et compagnon des ingénieurs, le cinéaste d'aujourd'hui compose avec des moyens toujours plus innovants pour façonner le rêve collectif. Lors de cet entretien, Ady WALTER, scénariste et réalisateur, explore son rapport à l'outil numérique, à l'architecture de ses récits, et à la manière dont l'imaginaire doit dialoguer avec la machine et allier le meilleur des deux mondes.

 

Depuis ses origines, le cinéma s'est toujours construit en lien étroit avec l'innovation technologique : du muet au parlant, du noir et blanc à la couleur, de l'argentique au numérique et aujourd'hui à l'intelligence Artificielle.

 

À chaque époque, de nouveaux outils ont offert aux cinéastes des moyens inédits d'exprimer leur vision. Le dossier Cinéma 4.0 - art et manufacture des rêves numériques s'inscrit dans cette continuité en explorant un cinéma où créativité et technologie se conjuguent.

 

Aujourd'hui, le réalisateur est plus que jamais à la croisée des arts, des techniques et de l'imaginaire, maître d'œuvre d'un rêve collectif façonné par des moyens touiours plus innovants.

 

Technica: Comment définiriez-vous votre rôle en tant que réalisateur dans l'ère du cinéma numérique ?

 

 J'ai toujours été fasciné de voir à quel point l'architecture était proche de mon métier : comme l'architecte qui commence avec un croquis, nous démarrons avec un synopsis, puis pour l'architecte viennent des plans et des maquettes tandis que nous établissons un scénario pour ensuite rentrer dans le concret de la fabrication ...

Ensuite nous sommes en tension permanente entre le budget qui nous a été confié et la promesse que nous avons faite de livrer - l'immeuble ou le film, avec un équilibre à trouver entre la volonté de l'architecte et le contrat avec les investisseurs ou les producteurs.

 

La ressemblance va parfois même jusqu'à la construction des décors sur les plateaux de tournage : j'ai dû trouver des solutions pour compenser pendant le COVID la préemption du bois en Ukraine et au Canada par la Chine.

 

Il a fallu trouver des solutions pour respecter la volonté des producteurs pour rester dans le budget. Nous avons fini par démonter des isbas et les remonter sur le plateau, ce qui 

a donné la patine à tout le village construit pour l'occasion. Comme dans la chanson du film « The Brutalist » (un autre architecte) « One for you » - on reste dans le budget, « One for me » - on va trouver ses solutions.

 

Le réalisateur doit aussi à mon sens être un pionnier, un défricheur  le cinéma a touiours été en adéquation avec la technologie de son temps, ces technologies ont été à la genèse du cinéma et lui-même a parfois devancé voire dépassé certains développements.

 

A titre personnel, je suis un réalisateur heureux et épanoui dans les nouvelles technologies : plus on m'en donne et plus Je suis content ! Et c'est d'ailleurs complètement intrinsèque à ma conception du métier : je suis à la fois l'enfant de Molière et l'enfant de ces nouvelles technologies - cette hybridation est un de mes credos.

 

Technica: Qu'est-ce qui vous attire le plus dans l'utilisation des nouvelles technologies dans le cinéma 7

 

La technologie est d'abord une chance : c'est un champ d'exploration qui ouvre toujours plus d'opportunités ; je veux touiours savoir ce qui est possible dans l'instant et je déteste que l'on me dise« ça ce n'est pas possible ». Pourquoi ? Parce que je suis un passionné de ces techniques et qu'en écrivant le film je me projette déjà dans cette potentialité. 

 

Et puis soumettre quelque chose de visuellement intéressant, peut-être même novateur, est vital ; proposer une exploration esthétique, une augmentation de notre imaginaire - tout un langage en fait- est extrêmement stimulant: cela nous permet de faire des films encore plus beaux et encore plus dingues.

 

Pour finir, l'utilisation de ces technologies peut nous procurer un gain de temps formidable, un gain économique qui profitera à l'ensemble du projet et en même temps préserver la sécurité de l'équipe.

 

Technica : Comment l'outil numérique modifie-t-il votre manière de raconter une histoire ?

 

Notre défi est de faire fonctionner des solutions qui, mises bout à bout, vont servir le propos défendu par le film, c'est-à­ dire ce que j'ai à dire sur le monde.

 

C'est pourquoi j'intègre les fonctions de production et de traitement de l'image tout au long du cycle de sa fabrication : avant de le réaliser, je pense à la manière dont je vais le traiter en post-production ; comment je vais pouvoir corriger, améliorer, augmenter.

 

Très vite je vais me poser la question de la technologie, des moyens que je vais utiliser avant même d'avoir terminé l'écriture du scénario : très tôt dans le processus je tiens mon chef opérateur au courant de son évolution pour pouvoir décliner toute une palette d'idées et de possibilités technologiques ; je passe ma vie à me poser la question « comment on fait ça ? ».

 

 

Schéma de prise de vue (Vova lvanov - chef opérateur du film SHTTL)

On imagine des solutions et on voit combien ça coûte : on a une tension permanente entre le budget qui nous a été confié, le rêve que l'on a de faire des choses de plus en plus folles et la promesse que nous avons faite de livrer aux investisseurs.

 

Technica : Quels sont les défis techniques les plus stimulants que vous ayez rencontrés dans vos projets récents et quelles innovations numériques rêveriez-vous d'explorer dans vos prochains films? 

 

J'ai dû imaginer, pour la réalisation de mon film SHTTL, un plan continu qui nécessitait vingt-cinq raccords et donc des moyens techniques très importants. On se pose du coup la question de savoir quel type de caméra on utilise, quelle focale...de quels outils on a besoin : un drone ? un buggy ? une grue ? De plus, tout ça évolue très vite aujourd'hui

 

J'ai eu la chance de travailler avec la maison ARRI et mon steadicamer William Oger qui m'a proposé lors de la conception une longue séquence qui a ensuite été intégrée au tournage. À la fin, on s'est rendu compte que j'avais réalisé le plus long plan séquence de l'histoire du steadicam muni d'un bras articulé..

 

Maintenant je peux parler d'intelligence Artificielle. Je suis en train de descendre le scénario de mon prochain film avec un expert en IA et de me poser des questions sur ce que l'IA peut m'apporter : est-ce que c'est moins cher de faire ça en IA aujourd'hui plutôt qu'avec une VFX (NDLR : Visual Effects) plus traditionnelle ? On se demande si une scène avec 430 figurants peut se faire en IA...

 

Ce sont des questions extrêmement concrètes qui se posent aujourd'hui. Travailler avec l'IA c'est nourrir sa demande - elle va proposer une première, puis une deuxième chose... elle va pousser à affiner sa recherche et de ce fait améliorer son travail... ça peut déboucher sur du Jamais vu et c'est ça qui est extrêmement stimulant. 

 

Technica : La technologie change-t-elle votre perception de l'art cinématographique 7

 

Le cinéma est un monde d'illusion devenu image grâce à la technologie. Les premiers grands maîtres étaient d'ailleurs des illusionnistes - tel Georges Méliès pour ne citer que lui.

 

On a toujours aimé Jouer avec la technique pour alimenter cette capacité d'émerveillement que la technologie nous offre c'est le Deus ex Machina du théâtre et c'est pour ça qu'il est important de savoir d'où l'on vient : la technologie est une déclinaison de l'art qu'elle supporte. (NDLR « Deus ex Machina» : dieu (ou un personnage surnaturel) qui apparaissait souvent soudainement à la fin de /'histoire, grâce à une machinerie de théâtre, pour résoudre les problèmes des personnages ou conclure /'intrigue) et c'est pour ça qu'il est important de savoir d'où l'on vient : la technologie est une déclinaison de l'art qu'elle supporte.

 

Si je prends pour exemple « Les Sept Joies de la Vierge » de Hans Memling (1480) qui représente 25 épisodes de la Vie du Christ combinés dans une seule composition narrative, sans scène centrale dominante, nous assistons à la manifestation d'une technicité qui s'apparente à un plan-séquence qui n'a selon moi rien à envier à un film comme 1917 de Sam Mendes.

« Die sieben Freuden Mariens» Hans Memling 1480 - Alte Pinakothek, Munich

Je pense que la technologie fait se réinventer les métiers du cinéma qui à leur tour transforment la manière de fabriquer cet art. Les métiers traditionnels continuent d'ailleurs de cohabiter avec les savoir-faire les plus avancés : de même que le livre papier n'a pas disparu, certains réalisent des films magiques avec de la pellicule ! Brady Corbet a utilisé le VistaVision - un format des années 1950-60 pour « The Brutalist ».

 

En ce qui concerne les effets spéciaux, je pense que l'on se dirige vers quelque chose de probablement hybride. Ce seront toujours plus de possibilités qui continueront à coexister ensemble.

 

Technica : Pour vous, quel rôle l'humain doit-il jouer face aux technologies dans le cinéma de demain 7

 

De même que les monteurs qui coupaient la pellicule avec des ciseaux n'ont pas disparu, ou que les drones n'ont pas remplacé les steadicams, l'apparition d'une technologie n'est pas un danger: elle joue en réalité pour l'humain.

 

Le rôle de l'humain est celui que l'on voudra bien en faire, c'est­ à-dire selon moi de travailler avec ces nouvelles technologies : les cinéastes ont toujours été dans ces réflexions, autant que les spécialistes des VFX qui réfléchissent à l'IA depuis longtemps et l'intègrent déjà dans leurs méthodes de fabrication - même si cette intégration fait débat.

 

Il ne faut pas attendre que ces nouvelles technologies fassent le travail à notre place ; au contraire même, je pense que les métiers à très haut potentiel émotionnel ou créatif sont ceux qui dans le futur auront le plus de valeur ajoutée.

 

C'est le supplément d'âme que la machine ne peut pas générer pour une raison très simple; elle n'est pas génératrice de fantasmes et on a besoin d'être inspiré par des gens qui sont vivants.

 

Si je prends mon exemple, j'intègre Chat GPT très tard dans le processus d'écriture du scénario mais en aucun cas, je ne le laisse faire tout seul. Je la considère comme très performante à condition de l'utiliser au bon endroit au bon moment et je reste le maître à bord. Par contre, je m'interdis de l'utiliser pour l'écriture des dialogues : les mots doivent être les miens et en plus c'est plus rapide.

 

C'est nous qui décidons de l'usage de l'intelligence Artificielle; la peur qu'elle peut susciter n'est que le miroir de ce que nous sommes. A l'inverse, ne pas en faire usage serait s'empêcher de réaliser tout le potentiel de l'homme qui est l'inventivité et l'innovation.

Ady WALTER
Ady Walter est scénariste et réalisateur, diplômé de l'École Doctorale de l'I.E.P.de Paris. En 2022, son long-métrage SHTTL remporte le Prix du public au Festival International du Film de Rome et est sélectionné au BFI International London Film Festival ainsi qu'en 2023 à de nombreux autres festivals (Diasporama; Cleveland, Atlanta, Emerging Filmmaker; Odessa...).
Il réalise en 2024 le documentaire PIERRE DE COUBERTIN : UNE VIE OLYMPIQUE disponible sur canalplus.com.

Auteur

Ady WALTER

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