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04 juin 2025

Philippe Dereims (82) : construire et transmettre une entreprise industrielle innovante, l’exemple d’HYDROPROCESS

Après presque 25 ans chez Saint-Gobain, Philippe Dereims (82) choisit en 2006 de se lancer dans l’entrepreneuriat industriel en fondant HYDROPROCESS avec son épouse, Michèle Dereims Centralienne de la même promotion. Pari réussi : leur PME s’est imposée comme un acteur innovant des technologies de très haute pression, notamment avec la machine ChefCut qui a révolutionné les métiers de bouche. Il revient ici sur deux décennies d’innovation, de croissance maîtrisée, de transmission… et d’engagement pour une industrie française plus résiliente et responsable.


Technica : Bonjour Monsieur Dereims. Comment est née l'idée de fonder HYDROPROCESS en 2006 ?

Bonjour à tous. En 2006, après un parcours de presque 25 ans chez Saint-Gobain à des postes à dominante technique au sein de l’activité vitrage automobile en France et en Italie (2 ans), de retour en France, ne m’épanouissant plus vraiment dans mon travail (crise de la quarantaine ?), nous avons souhaité avec mon épouse, voler de nos propres ailes en créant notre entreprise. La rencontre d’un chef d’entreprise souhaitant transmettre la partie de ses activités exercée dans le domaine des très hautes pressions tombait à point nommé. Ces activités s’adressant à des marchés de niche à fort contenu technologique correspondaient bien à ce que nous recherchions. C’est ainsi que naît HYDROPROCESS avec la reprise d’un fonds de commerce dans le domaine des très hautes pressions et d’une partie des équipes.

 

Notre ambition à l’époque était de devenir une PME reconnue dans le domaine des très hautes pressions et de la découpe par jet d’eau, capable de proposer des solutions complètes ne comprenant pas seulement la pompe, mais aussi la machine avec ses axes et sa commande numérique, partie que notre prédécesseur avait externalisée. Ayant également identifié en préparant notre business plan le marché potentiel des artisans des métiers de bouche, notre objectif était aussi par la même occasion de pouvoir proposer une petite machine compacte intégrant la pompe, facile à installer, à utiliser et à exporter.

Technica : Quelles ont été les grandes étapes de son développement et des défis à surmonter ?

Une fois, l’équipe constituée, 3 techniciens de l’ancienne équipe, complétée avec l’embauche d’une assistante ADV et d’un projeteur mécanique sous notre houlette, mon épouse occupant la direction commerciale et administrative, moi-même la direction technique et l’emménagement dans de nouveaux locaux, l’activité démarra dans le prolongement de ce que faisait notre prédécesseur.

 

Au début, ne disposant pas encore de produits propres, l’activité concernait le développement de machines spéciales, à la fois dans le domaine de la découpe par jet d’eau, mais aussi dans celui de l’hydroformage, avec quelques beaux projets notamment dans l’aérospatial, grâce d'un côté, à une machine de découpe très innovante pouvant traiter à la fois des matières en plaques ou en rouleaux, et de l'autre, dans l’oil and gaz avec une ligne d’hydroformage développée pour réaliser des stators de pompes à cavité progressive.

 

En parallèle de ces projets, nous réalisions les premières études de notre future petite machine dédiée aux artisans des métiers de bouche. Après une première version qui ne sera fabriquée qu’à un seul exemplaire et dont les essais chez un premier pâtissier ne furent absolument pas convaincants, nous avons analysé nos erreurs et sommes parvenus à développer une 2nde version qui marquera un vrai tournant dans le développement de la société.

Ainsi, à partir de 2011, cette machine, particulièrement innovante et que nous décidons d’appeler ChefCut, va véritablement révolutionner le métier de la pâtisserie et du chocolat, permettant à nos clients de proposer de nouveaux produits aux formes variées avec une qualité de découpe et des conditions de travail sans égal comparées aux méthodes de travail manuelles pratiquées jusqu’alors.

Technica : Quel rôle a joué votre compagne tout au long de ces presque 20 années entrepreneuriales ?

Avec mon épouse, issue de la même promotion, de par nos expériences différentes, nous formons un duo parfaitement complémentaire, Michèle s’occupant de la partie commerciale, administrative, financière et, moi-même dirigeant les études la R&D ainsi que la production, les achats techniques et le SAV.

Technica : Votre technologie de très haute pression s’adresse à plusieurs marchés (agroalimentaire, aéronautique, sécurité…). Comment avez-vous fait évoluer votre positionnement sectoriel au fil du temps ?

Nous proposons des produits innovants et premium s’adressant à des marchés de niche sur lesquels nous n’avons que très peu de concurrents, dans le cas des métiers de bouche, notre stratégie a permis d’avoir toujours un coup d’avance sur notre principal concurrent, d’abord au niveau de la précision de découpe, la nettoyabilité et aussi l’ergonomie avec un logiciel qui dès le début permettait de programmer directement au pied de la machine de façon simple et intuitive, nos clients n’ayant pas de bureaux des méthodes à leur disposition. Ensuite nous n’avons eu de cesse de conserver notre avance en proposant dès 2020 la première machine équipée d’une pompe haute pression à servomoteur qui a permis de gros progrès en termes d’efficacité énergétique et de niveau sonore. Fort de cette différenciation, nous avons plus que doublé nos ventes en passant de 5 M€ en 2020 à 12 M€ en 2022 avec une part à l’export supérieure à 30%.

 

Dans l’aéronautique, profitant de notre position de fournisseur des consommables utilisés dans une machine d’hydroformage développée par notre prédécesseur, nous avons été consultés sur un nouveau projet du même type en 2014. Sans réelle concurrence et avec une solution plus performante que celle de notre prédécesseur, nous avons été choisis pour réaliser un ensemble de 3 outillages permettant de fabriquer des éléments de tuyères pour les moteurs des Airbus A320 Néo et nouveaux Boeing 777. En 2020, une nouvelle application de ce procédé nous permet de mettre au point une machine unique permettant de réaliser des barriques vinicoles en inox.

Technica : Quels ont été les principaux défis techniques que vous avez rencontrés dans la conception d’équipements de très haute pression ?

Face à un besoin client, notre approche technique a toujours été de rechercher la solution la plus adaptée en termes de fonctionnalités, mais aussi en termes d’ergonomie et de fiabilité. Notre valeur ajoutée résolument axée sur les études, le montage, les installations, la formation et le SAV, nous n’avons jamais fait le choix d’investir dans nos propres moyens de chaudronnerie ou d’usinage, préférant nous appuyer sur un réseau de fournisseurs et sous-traitants locaux avec lesquels on a progressivement tissé de vrais partenariats.

 

De 2018 à 2019, après avoir déjà plus de 150 ChefCut en service, il s’est agi de renouveler notre gamme de machines, nous qui fabriquions nos propres pompes très haute pression, une question stratégique s’est alors posée : soit nous continuions sur cette voie avec un modèle d’affaire s’appuyant sur une forte intégration, soit nous nous associons avec un nouveau fournisseur que je venais de détecter et qui pouvait nous proposer une nouvelle génération de pompes à servomoteur dont les premières applications venaient de voir le jour dans le domaine de la découpe abrasive pour les industriels…

 

Considérant l’ensemble des avantages potentiels en termes d’efficacité énergétique, de compacité et de niveau sonore que pouvait nous apporter cette nouvelle technologie et la possibilité de négocier une exclusivité mondiale pour notre marché des métiers de bouche et des petites puissances, nous avons fait le choix de ce partenariat. Ainsi, nous avons préféré nous donner les moyens de mieux répondre aux besoins du marché plutôt que de vouloir rester attachés à notre technologie propre qu’on aurait mis des années à amener au même niveau.

Technica : Comment structurez-vous l'effort de R&D dans une PME industrielle comme la vôtre : plutôt en interne, en partenariat avec des laboratoires, des écoles d’ingénieurs ?

En continuité de ce qui vient d’être dit, notre effort de R&D a toujours porté sur le développement de petites briques technologiques venant en complément des meilleures technologies disponibles avec pour objectif de mieux répondre aux besoins du marché et avec une forte volonté de différenciation. Privilégiant largement nos études internes, qu’il s’agisse des études mécaniques, des automatismes ou de l’informatique industrielle, nous savons aussi nous appuyer ponctuellement sur des bureaux d’études extérieurs quand il s’agit de problématiques auxquelles nous ne savons pas répondre ou des compétences que nous n’avons pas, ou encore pour nous apporter un œil neuf, mais toujours avec le souci d’en acquérir ensuite la maîtrise. Le crédit d’impôt recherche est un outil que nous utilisons largement pour financer la réalisation des prototypes et notre protection industrielle.

Technica : Quels sont les grands axes de recherche ou d'innovation que vous jugez prioritaires pour l’avenir ?

Continuer de tracer la route devant nos concurrents sans oublier les contraintes du réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité qui s’imposent désormais à notre monde économique. Nous travaillons actuellement sur la réutilisation de l’eau. Notre souci est aussi de continuer de proposer nos machines spéciales qui sont quelquefois l’occasion d’élargir nos compétences sur de nouveaux marchés comme celui du recyclage ou de l’énergie.

Technica : Vous avez fait le choix de concevoir et de fabriquer en France. Quel regard portez-vous sur la dynamique actuelle de réindustrialisation ? Quels leviers devraient selon vous être activés en priorité ?

Loin d’être un handicap, fabriquer en France est pour nous un réel avantage, le monde des métiers de bouche est un petit monde dans lequel les Français sont reconnus et s’exportent bien. A ce titre, nous sommes fiers d’avoir contribué au développement d’une entreprise participant au renouveau de notre industrie.

 

Par la qualité de ses ingénieurs et techniciens, la France a toujours été un terreau favorable pour le développement de technologies innovantes, il est très regrettable que certains industriels, uniquement attirés par le profit à court terme, aient fait le choix à partir des années 90 de délocaliser pour la simple question du coût de la main d’œuvre. Il fallait être très naïf et peu responsable que de penser que les pays à qui on confiait ces productions en resteraient là et nous laisseraient continuer à créer de la valeur sur leur dos et qui plus est sans la maîtrise des gisements de matières premières.

 

Aujourd’hui, on s’est rendu compte de l’erreur et toutes les entreprises industrielles et les PME en particulier peuvent participer à cette dynamique de réindustrialisation, l’innovation est un facteur clé bien sûr mais à condition de bien interroger sa finalité et sa raison d’être au regard des limites planétaires, sinon les projets ne seront pas viables à long terme. Méfions-nous des gigafactories, je ne crois pas trop à ce modèle d’usines très gourmandes en capitaux et au service d’une hypothétique croissance. Je pense qu’il faut davantage faire confiance à des modèles d’entreprise à taille plus humaine en coopération locale ou dans des filières métiers.

 

La formation est également un facteur clé, il faut attirer les jeunes et aussi permettre aux moins jeunes de s’adapter et surtout de transmettre, beaucoup de savoir-faire a été perdu pendant ces années de délocalisation et l’IA ne réinventera pas tout. Le système de formation par alternance que nous avons mis du temps à découvrir en France fonctionne aujourd’hui plutôt bien.

 

Enfin, les banques devraient aussi accepter de prendre plus de risques et ne pas se limiter qu’aux critères de rentabilité court terme mais aussi prendre en compte d’autres critères comme l’utilité sociale par exemple ou encore la préservation de la biodiversité, pour durer, nos entreprises devront aussi être résilientes.

Technica : Pourquoi avoir choisi de vous adosser au fonds Evolem pour écrire une nouvelle page d’Hydroprocess ?

L’âge de la retraite arrivant, il était important pour nous de trouver une structure capable de poursuivre le développement de notre entreprise, plusieurs critères étaient essentiels à nos yeux : que l’entreprise à taille humaine que nous avions créée puisse continuer de se développer sur le site existant avec les mêmes employés et avec les partenaires locaux existants et enfin avec le même état d’esprit que celui qui nous a animé depuis le début. EVOLEM, un fonds familial avec des valeurs proches des nôtres et également engagé RSE, cochait toutes ces cases. Réciproquement, HYDROPROCESS, PME innovante et performante, opérant sur des marchés de niche, correspondait bien aussi au modèle d’entreprises recherché par EVOLEM.

Technica : Comment avez-vous personnellement vécu cette étape de transmission après tant d'années de direction ? De nouveaux projets pour la suite ?

Au tout début de l’opération, on est plutôt dans l’appréhension, pas toujours prêt à accepter de brutalement devoir passer à autre chose, puis avec le temps, on se rend compte qu’il est aussi important de ne pas vouloir mener le combat de trop, que ça peut aussi être une sacrée opportunité de développement pour l’entreprise. Puis, enfin aujourd’hui, encore dans l’accompagnement pour quelques mois et totalement rassuré par la qualité de la nouvelle équipe, on est de plus en plus sereins.

 

Pour la suite, restant passionnés par la vie économique et soucieux d’aider les autres, nous souhaitons continuer d’apporter notre soutien et nos conseils à des entreprises en développement (dont HYDROPROCESS dont on reste actionnaire à 10%) et des associations d’utilité publique, ceci bien entendu à un rythme qui nous permette aussi de consacrer plus de temps à notre famille dont notamment 2 petites filles.

Questionnaire express

- 3 adjectifs pour qualifier l’élève que vous étiez à Centrale Lyon ?

Curieux, Assidu, Sympa

- Un.e camarade de promo avec qui vous traîniez tout le temps ?

Bien sûr Michèle, qui est ensuite devenue mon épouse, mais aussi la petite équipe du V5 et la Junior Entreprise de l’époque (ça parlera peut-être à certains)

- Votre matière préférée à Centrale Lyon ?

Finalement beaucoup de matières, celles en rapport à la mécanique (matériaux, mécaflu, tribologie, moteurs thermiques) et aussi l’électricité

- Celle que vous appréciez le moins ?

Peut-être l’informatique du fait des équipements de l’époque très en retard comparé à ce qui existait pourtant déjà dans les entreprises.

- Ce que vous vouliez faire comme « métier » pendant votre formation à l’ECL ?

Très attiré à l’époque par le monde de l’automobile, mon souhait était de faire un vrai métier d’ingénieur capable de développer et d’améliorer les méthodes de production en usine 

- Que penserait l’élève que vous étiez s’il découvrait votre parcours pro jusqu’à aujourd’hui ?
Je pense qu’il serait plutôt admiratif, mais c’est difficile d’être juge et partie. Si je me félicite d’avoir pris le virage de l’entreprenariat, je dois aussi avouer qu’à deux ça a été infiniment plus confortable, je suis sûr que seul, je ne serai jamais parvenu au même résultat (Merci à mon épouse et bien sûr aussi aux équipes qui nous ont accompagnés)

- Un conseil que vous donneriez aux élèves actuellement à Centrale Lyon ?

Je leur dirais avant tout ; Soyez curieux des technologies, des sciences et aussi surtout des gens qui vous entourent, intéressez-vous, aussi à la nature, elle nous donne la solution à de nombreux problèmes, profitez du réseau et des moyens qui sont à votre disposition. Si un jour votre travail n’a plus de sens pour vous, ayez le courage de le quitter.  Enfin, si vous voulez créer votre entreprise, une expérience préalable dans une grande ou petite entreprise peut être bénéfique, mais surtout discutez avec votre entourage et n’ayez pas peur de confronter votre projet avant de vous lancer (Si je peux aider quelqu’un, je le ferai avec plaisir et ce sera gratuit).

Auteur

Philippe Dereims cofonde Hydroprocess en 2006 après 25 ans chez Saint-Gobain. Avec son épouse, il développe cette PME innovante spécialisée dans les très hautes pressions, la découpe par jet d’eau et la machine ChefCut, devenue incontournable dans les métiers de bouche. En 2024, il transmet l’entreprise au fonds Evolem, qu'il accompagne encore aujourd'hui.

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